Énorme succès à sa sortie, Gremlins apparaît encore davantage aujourd’hui comme un film étrange, qui n’a pas su choisir entre comédie familiale et l’horreur. Un sentiment qui s’explique par son historique : le projet de Joe Dante et Chris Columbus pour réaliser un vrai film d’horreur dans la plus grande tradition du genre a été largement altéré quand Steven Spielberg a mis la main dans la production et imposé un ton plus familial. Le long-métrage n’a pas su sortir de cette ambivalence et cela se voit. Oscillant entre l’horreur pure et parfois gore et le ridicule des scènes en famille dans une banlieue américaine parfaite à l’époque des fêtes de Noël, Gremlins reste une œuvre étonnante, parfois séduisante et amusante, parfois dans le cliché ridicule.
L’action se déroule dans une banlieue américaine non-identifiée et qu’il serait inutile d’identifier, tant elle ressemble à n’importe quelle banlieue. On approche de Noël, toute la ville se prépare à l’approche des fêtes, tout le monde est heureux, c’est le bonheur. Cette base apparemment parfaite est néanmoins gâchée par la toute première scène de Gremlins qui se déroule « à Chinatown » (celui de New York, probablement1), alors que Rand cherche un cadeau pour son fils et surtout à refourguer l’une de ses inventions. Ce personnage intrigue par son côté pathétique, à inventer des objets ridicules qui ne fonctionnent même pas, et film de Joe Dante ne laisse aucun doute sur le fait que son entourage en a bien conscience. À plusieurs reprises, on voit la mère de famille ou le fils, Billy, utiliser l’une de ses inventions et à chaque fois, c’est un échec cuisant, qui peut même se traduire par une cuisine ruinée. C’est un personnage ridicule donc, il aurait sa place dans une farce ou dans une comédie traditionnelle, mais on ne sait pas trop ce qu’il vient faire dans ce film d’horreur. Il est probablement l’une des traces de cet entre-deux imposé à mi-parcours et on imagine qu’il n’était pas dans le script original, ou alors que son traitement était très différent. Gremlins avance assez rapidement son intrigue principale avec cette petite créature dénichée dans la boutique miteuse d’un vieux Chinois et les interdits étranges associés. Le début est tout mignon comme il se doit, jusqu’au jour où Billy verse accidentellement de l’eau sur Gizmo et qu’il obtient cinq copies qu’il nourrit accidentellement après minuit. Les gentilles créatures deviennent alors des monstres très malins qui menacent la belle nuit de Noël.
En voyant Gremlins tel qu’il est proposé au cinéma aujourd’hui, on retrouve sans mal le film d’horreur adulte sous-jacent. Les créatures sont vraiment bien faites et elles sont très impressionnantes, probablement trop pour des enfants. Dans les années 1980, Hollywood n’avait pas encore d’ordinateurs pour créer ses effets spéciaux et Joe Dante a exploité au maximum les animatroniques, des maquettes animées en temps réel pendant le tournage. C’était une technique bien connue et rendue célèbre, notamment par Les Dents de la Mer ou encore la trilogie Star Wars pour le personnage de Yoda, et elle est exploitée ici avec beaucoup de talent. Habitués que nous sommes aux effets numériques, les maquettes sont bien visibles, naturellement. Néanmoins, le travail a été bien mené et les créatures sont vraiment très impressionnantes dans quelques scènes clés, d’autant que leur chrysalide rappelle immanquablement celles d’Alien. Au-delà de la forme, le scénario de Chris Columbus les place dans des situations dignes des meilleurs films d’horreur. Dans la séquence où la mère se bat contre les bestioles, elle parvient à en tuer plusieurs avec un couteau, un mixeur ou encore un micro-ondes… c’est très gore. À un autre moment, Gremlins présente son héros protégé de la tronçonneuse d’une créature uniquement par une batte de baseball qui disparaît rapidement. Imagine-t-on une telle scène dans un film pour la famille aujourd’hui ? La version originale ajoutait quelques morts et notamment le chien de la famille qui est ici simplement maltraité, mais le ton est déjà vraiment très sombre, plus que d’accoutumée. Tout en maintenant des notes de légèreté qui frisent avec le ridicule, comme ces séquences à la banque où le héros affronte son vilain patron.
Steven Spielberg a apporté au projet plus de gloire que Joe Dante seul en aurait eu avec Gremlins, c’est incontestable. Mais en même temps, le scénario de Chris Columbus fonctionnait probablement mieux en restant dans l’horreur pure et loin du film familial. En l’état, le long-métrage reste culte pour tout une génération et il intègre quelques scènes très plaisantes, il faut le reconnaître, mais il reste aussi sur un entre-deux qui ne convainc pas, ni d’un côté, ni de l’autre. Gremlins souffre au fond de ce problème si courant dans le cinéma aujourd’hui encore, il cherche à plaire à des publics trop différents au lieu de se concentrer sur un seul élément et bien le faire.