Engagé volontaire pendant la guerre au Vietnam, Oliver Stone est rentré avec la ferme intention de montrer l’horreur qu’il avait vécue sur place au cinéma. Dès son retour, il écrit un scénario qui a servi de base à Platoon, mais il lui a fallu encore vingt ans pour tourner ce long-métrage que personne ne voulait financer. Le sujet dérangeait et après l’immense succès d’Apocalypse Now, Hollywood craignait la répétition et considérait qu’il n’y avait rien à dire de plus. Et pourtant, le témoignage de première main apporté par Oliver Stone permet au film de creuser l’écart et de proposer autre chose que la plongée au cœur de l’enfer de Francis Ford Coppola. Platoon est un film de guerre très classique sur la forme, mais c’est aussi une critique de la guerre d’une redoutable efficacité et sa vision de ce conflit reste une des plus glaçantes qui soient. Un classique qui mérite d’être (re)vu.
Oliver Stone était au Vietnam en 1968, son film se déroule exactement la même année. C’est le cœur de cette guerre interminable qui a duré près de vingt ans qui a tué des milliers de soldats américains et des millions de vietnamiens et surtout qui a détruit psychologiquement des millions de personnes dans les deux camps. Platoon s’intéresse précisément aux destructions d’ordre psychologiques, non pas après les faits comme l’avait fait Voyage au bout de l’enfer huit ans auparavant, mais bien directement sur le champ de bataille. On suit les pas de Chris Taylor (Martin Sheen, quelques années après son père chez Coppola), un jeune homme qui s’est engagé volontairement par patriotisme et aussi parce qu’il n’était pas satisfait de ses études aux États-Unis. On imagine sans peine qu’il est l’interprète de la propre expérience d’Oliver Stone et d’ailleurs, le personnage est représenté comme un intellectuel qui écrit en permanence. C’est surtout un bleu et dès le départ, le scénario met en évidence comment les jeunes soldats sont maltraités par leurs pairs. Ils font les pires corvées dans le camp et surtout, sont envoyées se battre dans les pires endroits sans aucune expérience. L’horreur de cette guerre est ainsi sensible dès le premier passage dans la jungle qui se termine par la mort de l’un de ces bleus : Platoon donne très vite le ton, et ce n’est que le début. Le scénario se déploie avec une montée rapide de la violence, jusqu’à la bataille finale qui se termine avec une immense pile de cadavres massés dans une fosse commune. C’est une violence extrême et elle fait ressortir le pire de chaque homme et n’épargne personne, pas même ce Chris qui est pourtant éduqué. Autour de lui, il y a surtout les hommes les plus pauvres des États-Unis et ils sont parfois totalement détruits par cette guerre horrible. Certains plans sont impressionnants de réalisme et on sent bien que le réalisateur a reproduit ses souvenirs aussi fidèlement que possible.
Platoon décrit fidèlement une guerre, mais il ne cherche pas à la contextualiser ou à prouver sa stupidité. De fait, il n’y a aucun élément de contexte, le spectateur est directement plongé au cœur de la jungle vietnamienne et sous les balles ennemies, sans autre forme de procès. On ne sait rien sur les motifs de la guerre, pas même sur les forces en présence. Toute l’action adopte exclusivement le point de vue américain et Oliver Stone n’essaie pas de dresser un tableau objectif de la situation, mais plutôt de rapporter son expérience. En fait, le vrai sujet du long-métrage n’est pas tant la guerre du Vietnam que l’homme face à la guerre, quel que soit le contexte plus large. C’est pourquoi le scénario met en place une dissension au sein du peloton (platoon en anglais) entre deux sergents, Barnes et Elias. Tout les oppose, l’un est la caricature du soldat américain convaincu par l’intérêt du combat et tête brûlée quand l’autre est certain de la défaite et essaie de maintenir un semblant de moralité dans ce conflit qui en est largement dépourvu. Ce conflit se cristallise lors d’un passage dans un village où l’unité doit dénicher des soldats ennemis, mais où elle ne trouve que des villageois apeurés et sans défense. Après plusieurs pertes dans leur camp, les soldats américains craquent et commencent à tuer des villageois et violer des villageoises et les deux sergents en viennent aux mains alors que leur supérieur ne dit rien. Ce conflit enfle ensuite jusqu’au drame et Platoon montre ainsi que tous ces hommes ont totalement perdu le sens de la réalité. Ils sont dans un univers parallèle alimenté en partie par la drogue et surtout par les lavages de cerveau de l’armée qui leur donne une raison à cet enfer. Willem Dafoe et Tom Berenger sont très bien dans le rôle des deux sergents, même si Oliver Stone a manifestement coupé quelques conversations qui auraient pu leur offrir une meilleure psychologie1. Le film établit très bien les prémices des troubles psychologiques rencontrés par tous les vétérans : comment rester sain d’esprit dans cette jungle où la mort peur survenir à tout moment, et pour réaliser une mission sans véritable intérêt ?
Sans être aussi visionnaire et puissant qu’Apocalypse Now, le long-métrage d’Oliver Stone frappe par la violence de ses images et de son propos. On voit bien que son créateur est allé sur place et a connu l’enfer qu’il essaie de décrire : le réalisme de Platoon est souvent saisissant. En plongeant les spectateurs dans cette jungle, le réalisateur veut montrer comment la folie s’empare même des hommes les plus sains et la démonstration est implacable. Un classique qui fait froid dans le dos et qui mérite amplement d’être vu et revu.
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Article 1400
- Et qui aurait permis à Johnny Depp de dépasser le stade du quasi figurant. L’acteur alors débutant a tourné nettement plus de scènes, mais elles ont presque toutes été coupées au montage. ↩