Après Los Angeles et le cinéma dans Knight of Cups, place à Austin et à la musique avec Song to Song. Pour la quatrième fois, Terrence Malick reprend un dispositif inauguré en 2011 avec The Tree of Life et qui avait aussi été exploité dans À la merveille. Si vous n’aimiez pas le travail du cinéaste auparavant, ce n'est pas ce nouvel opus qui va vous réconcilier avec lui. Bien au contraire, on y retrouve ses qualités et aussi — et surtout ? — ses défauts, d’autant plus visibles que c’est la quatrième fois qu’on les retrouve. Néanmoins, Song to Song reste intéressant, à la fois parce qu’il semble fermer un cycle dans la carrière de Terrence Malick, aussi parce qu’il est assez différent de ses prédécesseurs. En s’intéressant à l’univers de la musique et notamment du rock, le réalisateur sort un petit peu de sa zone de confort et se risque, timidement certes, sur d’autres terrains.
Sorti à peine deux ans après le précédent long-métrage du réalisateur, Song to Song n’est pourtant pas un projet lancé juste après Knight of Cups. Le tournage de ce film a été réalisé en 2012 et il est en phase de production et surtout de montage depuis près de cinq ans. Fidèle à son habitude de travail, Terrence Malick a énormément tourné avec ses acteurs en comptant au passage sur leur improvisation avec succès, il a obtenu des centaines et des centaines d’heures de tournage et il a fallu beaucoup de travail pour sortir ce film qui dépasse à peine les cent-vingts minutes, et non huit heures comme durait apparemment le premier jet. Au passage, Christian Bale et d'autres acteurs ainsi que des groupes filmés sur scène ont totalement disparu du film, le réalisateur est coutumier du fait. À l’écran, on devine aisément cette masse de matière et les difficultés du montage. Song to Song reprend cet enchaînement rapide de plans parfois très courts pour raconter une histoire réduite à sa plus simple expression, portée par des monologues intérieurs davantage que des dialogues. Formellement, ce neuvième long-métrage est incontestablement dans la lignée des trois qui le précèdent, formant une unité très nette par rapport aux cinq premiers de Terrence Malick. Autant dire que si vous avez suivi sa carrière récemment, vous serez en terrain connu, y compris sur les thématiques abordées. L’amour est encore une fois au cœur des enjeux, cette fois autour de plusieurs couples et personnages dans le milieu de la musique texane. Le tournage a été entièrement réalisé à Austin, le cinéaste en a profité pour filmer des concerts proposés dans le célèbre festival local, mais l’essentiel des deux heures est consacré à des plans dans de grosses villas aussi riches que vides qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à celle de Hollywood. Même si les tournages n’ont pas été concomitants, il est difficile de ne pas retrouver des plans ou au moins des inspirations des films précédents. Néanmoins, Song to Song ne se contente pas de répéter, il innove aussi.
Même si les changements restent mineurs en soi, ils sont significatifs dans l'ensemble de films qui restait jusque-là formellement très cohérent. Pour commencer, Terrence Malick ne repose plus seulement sur la musique classique pour raconter son histoire, il fait aussi appel à d’autres genres, du rock à la folk, en passant par la country. Ses personnages sont des musiciens, chanteurs ou producteurs, son cadre est aussi lié à la musique et le cinéaste casse le côté ample et stable de ses précédents films pour instaurer un sentiment de bazar permanent dans celui-ci. Song to Song ne se contente pas de glisser un peu de rock dans sa bande-originale pour changer de rythme toutefois, le tournage a lui aussi été influencé, tout comme le montage. Par exemple, les mouvements de caméra autour des personnages sont toujours présents, mais le cinéaste a utilisé régulièrement des objectifs si larges que l’image en est déformée. Cela permet de filmer un personnage au plus près et de voir le contexte, mais cet effet donne aussi un côté irréel aux séquences qui l’ont adopté. Un sentiment renforcé par le fait que le cadrage coupe souvent la tête des acteurs, ce qui renforce le sentiment d’improvisation et donne même un aspect amateur assez inattendu. Poursuivant le mouvement initié avec Knight of Cups, le réalisateur limite aussi les plans de nature, même s’il y a toujours quelques séquences magnifiques, notamment autour de couchers de soleil sur l’eau. Néanmoins, le long-métrage est en majorité urbain et construit, plein de maisons aussi immenses que froides, de piscines et de gazon bien tondu, ou alors de « pogos » dans un grand festival poussiéreux. Au-delà de la forme, le fond évolue lui aussi : l’histoire racontée par Song to Song est tout aussi minimale, quasiment absente à l’écran et racontée uniquement par bride, il n’empêche qu’elle est plus simple et se rapproche d’une narration traditionnelle, bien davantage en tout cas que les deux films précédents. La conclusion pourrait même être décevante tant elle est banale, mais cette simplification rend aussi l’ensemble plus accessible. À condition de se laisser porter, ce drame amoureux est assez facile à approcher et il faut reconnaître au passage le talent des acteurs, tous excellents dans leur rôle. Michael Fassbender est excellent dans son rôle de manipulateur, mais on retiendra surtout les rôles féminins, Rooney Mara et Natalie Portman, parfaites.
Terrence Malick a-t-il conclut un cycle avec ce quatrième film ? On sait que le suivant, prévu dès l’année prochaine, sera historique et très différent, avec une équipe technique également renouvelée. Est-ce que le réalisateur relancera sa carrière dans une autre direction ? On peut l’espérer, car Song to Song a beau changer légèrement la recette et renouveler ainsi en partie le mécanisme instauré avec The Tree of Life, il n’en reste pas moins une sorte de répétition. Pour les amateurs, il vaut malgré tout le détour, à la fois pour vivre la fin de cette phase et pour les variations glissées par le cinéaste et qui renouvellent en partie le genre. Si vous n’aimiez pas le Terrence Malick des dernières années toutefois, ne perdez pas de temps à voir Song to Song et patientez plutôt jusqu’à la sortie de Radegund…