Les remake sont monnaie courante au cinéma, mais les remake réalisés par les mêmes réalisateurs sont nettement plus rares. En 1956, Alfred Hitchcock doit honorer un contrat pour la Paramount et il propose de refaire L’homme qui en savait trop, un long-métrage qu’il avait déjà réalisé en 1934. À l’époque, le cinéaste était encore au Royaume-Uni et ce premier film a eu beaucoup de succès, mais l’idée d’en faire une nouvelle version pour le public américain émerge dès les années 1940, à son arrivée dans le pays. Et à l’arrivée, on comprend bien pourquoi : la trame est identique dans les deux versions, mais L’homme qui en savait trop sorti en 1956 n’a plus grand-chose à voir avec le petit film britannique original. Plus ambitieux, ce classique n’a pas pris une ride et reste toujours aussi intense, tout particulièrement pendant la fameuse séquence de l’Albert Hall. À (re)découvrir.
Comme souvent, le générique d’ouverture de L’homme qui en savait trop en dit long, même si le spectateur qui découvre l’œuvre pour la première fois ne peut pas s’en rendre compte. Les noms défilent sur un fond constitué d’un orchestre, ou plutôt sur un gros plan centré sur les percussions. Un homme reste debout à ne rien faire pendant la majorité de la séquence, puis il se lève, prend deux cymbales pour les utiliser une seule fois, au moment le plus intense du morceau. Malin, Alfred Hitchcock dévoile ainsi l’air de rien un moment-clé de l’intrigue, mais revient ensuite à l’histoire principale qui débute au Maroc, dans un bus sur la route entre Casablanca et Marrakech. On découvre une famille américaine très banale : Ben (James Stewart, un habitué du réalisateur qui est ici parfaitement à l’aise dans le rôle de l’Américain moyen), le mari médecin qui vient en vacances avec sa femme Jo (Doris Day, impeccable), ancienne chanteuse qui a abandonné sa carrière, et son jeune fils Hank. Un incident avec le garçon dans le bus amène le trio à rencontrer Louis Bernard, un Français qui les aide à se dépêtrer de l’incident et avec qui ils sympathisent. Sa curiosité surprend Joe, mais le couple poursuit ses vacances à Marrakech jusqu’au jour où le même Louis vient agoniser à leur pied en plein marché. Juste avant de mourir, il a le temps de glisser à l’oreille de Ben quelques mots sur un assassinat à venir sur le sol britannique. Le voici à son insu l’homme qui en savait trop et un thriller se met en place quand Hank est kidnappé pour que le couple ne parle pas. À partir de là, le maître du suspense fait monter la tension progressivement jusqu’à cette séquence pleine de tension dans la salle de concert où l’assassinat doit avoir lieu.
La trame de L’homme qui en savait trop n’est pas complexe, c’est d’ailleurs un de ses points forts. On peut résumer l’histoire en quelques mots et elle est parfaitement lisible, mais cela n’empêche pas Alfred Hitchcock de l’exploiter pleinement pour tenir ses spectateurs en haleine pendant deux heures. Loin des blockbusters modernes, il n’a pas besoin de multiplier les séquences d’action explosives et spectaculaires pour cela. C’est même tout l’inverse qui se produit : il n’y a que deux coups de feu en tout et pour tout pendant toute la durée du film. La course dans le bazar de Marrakech ne compte pas comme une vraie course-poursuite et les armes restent très discrètes, tandis que l’on n’est jamais vraiment inquiet pour l’intégrité physique du garçon, très bien traité par ses ravisseurs. Le suspense est créé différemment, il provient notamment du manque d’informations et du fait que le couple est projeté dans un complot dont ils ignorent tout et qui les dépasse vite. L’enquête qu’ils mènent à Londres est tendue — et aussi drôle par endroit — parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils doivent trouver. L’homme qui en savait trop ne délivre d’ailleurs jamais toutes les informations : on ne sait pas, au fond, qui sont ces comploteurs, pas même de quel pays ils sont, encore moins pourquoi ils essaient d’assassiner ce premier ministre. Le scénario oublie toutes ces questions pour se concentrer sur une intrigue construite sur l’enquête de deux amateurs qui essaient simplement de sauver leur enfant. En évitant ainsi de démultiplier les enjeux et en se concentrant sur cette idée très simple, Alfred Hitchcock trouve une forme de perfection dans l’épure. Et la très longue scène à l’Albert Hall — douze minutes sans un seul dialogue — prouve encore une fois son talent de réalisateur et de monteur, avec une tension qui monte en même temps que la musique jusqu’au climax marqué par le cri de l’actrice principale. C’est brillant, tout simplement.
Dans les grandes lignes, la version américaine de L’homme qui en savait trop est identique à l’originale et les différences sont souvent anecdotiques : les montagnes suisses ont cédé la place au Maroc, la famille anglaise est devenue américaine, le fils est une fille. Néanmoins, le remake est beaucoup plus ambitieux et plus intense. Alfred Hitchcock lui-même l’a reconnu quelques années plus tard dans ses échanges avec François Truffaut : il qualifiait alors l’original de « travail d’un amateur talentueux » alors que le remake était « fait par un professionnel ». Un pro qui est en plus très doué : L’homme qui en savait trop se regarde très facilement comme un blockbuster moderne, mais sans avoir besoin d’en faire des tonnes ou d’impressionner avec de l’action omniprésente. Le long-métrage reste assez simple et c’est sa plus grande qualité : un classique.