Tourné dans les années immédiates d’après-guerre, Un merveilleux dimanche est à la fois le témoignage des difficultés de l’époque pour le pays, et de celles d’Akira Kurosawa. Même si le film s’inspire plus ou moins ouvertement d’Isn’t Life Wonderful, un long-métrage américain de D.W. Griffith sorti en 1924, il est directement inspiré par la vie du réalisateur. Marié deux ans avant la sortie de sa sixième réalisation, il a beaucoup de mal à traverser ces années de crise et le couple qu’il forme avec sa femme ressemblait beaucoup à celui qu’il imagine ici. L’un de ses films ne peut pas sortir en salles à cause de la censure, tandis que les syndicats bloquent les tournages et empêchent le cinéaste de faire correctement son travail. Loin de l’immense renommée qu’il acquiert au fil des ans, Akira Kurosawa commence probablement à se demander s’il pourra véritablement vivre de son art et le doute de ses personnages était certainement aussi le sien. Un merveilleux dimanche est intéressant surtout pour ce témoignage de l’époque et de la situation du réalisateur, mais c’est aussi un petit film simple et plaisant et un formidable terrain de jeu pour faire avec les moyens du bord.
Comme son titre le laisse entendre, toute l’intrigue d’Un merveilleux dimanche se déroule sur une journée. Un couple se retrouve dans les rues de Tokyo pour leur jour de congé, un dimanche donc. On est un ou deux ans après la fin de la Seconde guerre mondiale et les ruines sont encore partout. Et surtout, l’économie est entrée en crise et l’inflation galopante a ruiné la classe moyenne japonaise. Avant la guerre, Masako et Yuso rêvaient de se marier et d’ouvrir un café ensemble. Mais lui est parti sur le front et il est revenu découragé, sans l’envie d’entreprendre, déprimé. Elle essaie tant bien que mal de lui remonter le moral, mais le contexte n’aide pas : le couple est très pauvre, ils n’ont qu’une trentaine de yen à dépenser à deux pour cette journée de loisir et ils n’ont même pas de quoi emménager ensemble. Elle vit encore dans sa famille, il vit dans la chambre miteuse d’un ami, avec une fuite au plafond. Ils sont si pauvres qu’ils ne peuvent même pas s’offrir une chambre à deux, encore moins une maison. Tout ce qui leur reste, ce sont les rêves et Akira Kurosawa construit tout son film sur cette idée. Ses deux personnages rêvent d’une vie meilleure en visitant une maison qu’ils ne pourraient jamais s’offrir, puis en se rendant dans un cabaret occidentalisé où l’argent n’est manifestement pas un problème. Dans ce Japon en ruine, on sent bien l’influence américaine dans les vêtements et certains modes de vie, tandis que la guerre n’est pas loin. Les camions militaires sillonnent toujours les rues, les bidons d’essence servent de sièges ou de jeux pour des enfants, les ruines sont des terrain de base ball improvisés. Toute la première partir d’Un merveilleux dimanche ressemble quasiment à un documentaire sur cette époque, avec sans doute quelques critiques dissimulées ici ou là, mais aussi des moments de bonheur. Une rupture très nette crée la surprise à peu près au milieu, quand le couple entre dans la chambre de Yuso et que la réalité est trop écrasante pour laisser place au rêve. Le long-métrage hérite alors d’une noirceur extrême, insoupçonnée jusque-là et l’intrigue se recentre sur le couple. Dans l’une des plus belles séquences du film, les deux amoureux essaient d’écouter La Symphonie Inachevée de Schubert dans un amphithéatre de fortune, après avoir été repoussé d’un vrai concert. Elle joue la spectatrice, lui le chef d’orchestre et ils essaient ainsi de rêver ensemble, mais leur rêve est constamment mis à mal par le vent qui souffle. Loin de la simplicité d’un happy-end à l’américaine, Akira Kurosawa reste ainsi dans la noirceur jusqu’au bout, entrecoupée de quelques moments de bonheur. C’est très certainement représentatif de son état d’esprit d’alors et de l’esprit général d’alors au Japon.
Le tournage d’Un merveilleux dimanche n’a pas été une partie de plaisir, notamment parce qu’il a été mené avec très très peu de moyens. Ce n’est pas pour rien qu’il n’y a quasiment jamais plus de deux acteurs à l’écran, si ce n’est quelques rencontres ici ou là. Ce manque de moyens n’a pas limité le cinéaste, c’est même tout le contraire : motivé par la nécessité de trouver des solutions malgré tout, Akira Kurosawa multiplie les trouvailles de mise en scène. La séquence dans la chambre exploite la fuite du plafond comme un métronome, pour donner un rythme et une ambiance à la scène. Dans l’amphithéâtre, le vent simulé par les feuilles devient un personnage à part entière. De ce fait, Un merveilleux dimanche n’est pas qu’une curiosité des premières années du cinéaste, c’est aussi un terrain de jeu qui forme le talent d’Akira Kurosawa. Pour cette raison au moins, le film mérite d’être vu.