Veep, Armando Iannucci (HBO)

Adapté d’une série britannique comme tant d’autres excellentes séries américaines1, Veep est une sitcom politique qui s’impose par sa satire grinçante et un humour noir mordant. Créée par l’écossais Armando Iannucci à qui l’on devait l’excellent In The Loop, cette série critique le système américain avec férocité, tout en parvenant à faire rire, même si l’actualité récente détruit souvent toute légèreté à l’ensemble. Les acteurs sont parfaits dans leurs rôles et Veep s’améliore au fil des saisons, même si la sixième et dernière actuellement diffusée s’épuise quelque peu. Néanmoins, et en attendant de voir ce que HBO nous réserve pour la septième et dernière saison, la série s’impose facilement comme l’une des meilleures comédies politiques de ces dernières années. Mérite amplement le détour !

« Veep », c’est le vice-président américain, ou plutôt la vice-présidente. La première saison se déroule alors que Selina Meyer est à ce poste qu’elle voyait comme un tremplin avant la présidentielle, mais qui s’avère n’être qu’un placard joliment décoré, à quelques pas de la Maison-Blanche. Les scénaristes ont la bonne idée de ne pas s’appesantir sur ce qui s’est passé avant, même si le générique et des références dans les dialogues permettent de reconstituer les évènements. On comprend qu’elle était parmi les favoris de la primaire de son parti, mais qu’elle a perdu à la dernière minute et qu’elle a été contrainte d’accepter ce poste. Voilà pour le point de départ, le scénario se construit à partir de là et Armando Iannucci reprend presque tous les codes de la sitcom — presque, car il n’y a aucun rire enregistré. L’intrigue se déroule essentiellement dans quelques lieux, qui évoluent certes d’une saison à l’autre : les bureaux de la vice-présidence sont ainsi le cadre de prédilection de la première saison. On découvre aussi d’emblée quelques personnages clés et à une exception près ou deux, ils resteront les seuls personnages de toute la série. Veep exploite naturellement la vice-présidente et ses proches, mais aussi ses conseillers qui sont, en moyenne, tous des bras cassés. C’est en effet un moteur important dans la série, tous les personnages sont médiocres et incompétents, ils se trompent souvent, font des bourdes constamment et leurs maladresses sont derrière une large partie des rebondissements de l’intrigue. Les clichés ne sont pas toujours évités, mais il faut noter l’imagination débordante des scénaristes, ces clichés sont renouvelés en permanence et on ne s’ennuie jamais. D’autant que quelques changements clés interviennent à plusieurs reprises et permettent de varier les cadres et les interactions.

Pour qu’une telle série fonctionne, elle doit absolument compter sur des acteurs solides. Ce sont eux qui permettent au scénario de tenir la route et de rester crédible, même quand l’intrigue repose essentiellement sur une satire politique parfois un poil forcée (quoi que). Sur ce point, HBO a vu juste en choisissant Julia Louis-Dreyfus dans le rôle principal, celui de Selina Meyer. L’actrice, aussi productrice exécutive, a été récompensée à de multiples reprises pour son interprétation, mais il faut bien dire qu’elle est bluffante. Elle parvient notamment très bien à jouer une femme égocentrique, souvent insupportable avec tout le monde et même odieuse avec sa fille et quelques autres souffre-douleurs, tout en suscitant chez le spectateur la dose de sympathie nécessaire. Elle joue constamment sur plusieurs tableaux, parfois dans la satire politique mordante quand elle est au cœur de l’incompétence crasse, parfois dans la farce un peu facile, parfois encore — mais plus rarement — dans l’émotion. Souvent vêtue de rouge, elle se prend pour une chevalière de la cause féminine alors qu’elle est la plus machiste du lot. Elle fait tout ça pendant six saisons et elle le fait remarquablement bien : le succès de Veep lui doit beaucoup. Mais ce n’est pas la seule, tous les acteurs autour d’elle sont excellents, que ce soit Tony Hale dans le rôle de Gary, porte-sac complètement amoureux, ou bien Anna Chlumsky dans le rôle totalement différent d’Amy, sa chef de cabinet. On pourrait critiquer certains choix, notamment le fait que tout le monde se sacrifie au profit de la vice-présidente et de sa carrière. Mais même si la série tombe parfois dans la caricature, par exemple en présentant des incompétents absolus qui conservent leur travail envers et contre tout, ou bien en mettant en avant des actions répréhensibles sans conséquences, c’est toujours fait avec goût et les acteurs parviennent systématiquement à faire passer la pilule. Sans compter que ce qui semblait une caricature grossière et inimaginable il y a quelques mois paraît beaucoup plus crédible aujourd’hui, hélas.

La sixième saison de Veep essaie de se renouveler en changeant à nouveau de cadre, mais cela ne l’empêche pas d’être moins réussie, la faute sans doute à des changements trop importants et à l’usage de flashbacks qui viennent l’alourdir. Toutefois, cela n’enlève rien à la qualité de l’ensemble et HBO termine sur un cliff-hanger extrêmement prometteur. On verra ce que cela donne avec la septième saison, mais quoi qu’il en soit, force est de constater qu’Armando Iannucci a réussi son pari. Veep est une satire de la politique américaine hilarante et vous auriez tort de passer à côté !


Veep, saison 7

(17 septembre 2020)

La sitcom politique et satirique de HBO se termine avec une saison retardée et écourtée pour permettre à son actrice principal de soigner un cancer. Sept épisodes doivent suffire pour conclure Veep, alors que la sixième saison se terminait sur une belle surprise. Selina Meyer se relance dans la course à la présidentielle, un retour au point de départ de la série toute entière. Il va sans dire que c’est le sujet central de cette fin et Armando Iannucci consacre toute sa dernière saison à ces élections, et plus particulièrement aux primaires du parti démocrate. C’est la guerre ouverte entre tous les candidats, qui regorgent d’inventivité pour tenter de se distinguer, quitte à faire absolument n’importe quoi.

Veep n’a jamais parlé de Donald Trump, qui n’était pas encore à la tête des États-Unis quand la série a été créée. Sa présidence a bouleversé bon nombre de séries, dont la sitcom satirique de HBO qui se trouvait bien en deçà de la réalité. La septième saison tente de répondre, notamment à travers le personnage de Jonah et son programme contre les vaccins et surtout contre les mathématiques, jugées comme une invention islamiste. Armando Iannucci tire à balles réelles et l’humour n’a jamais été aussi noir que dans ces derniers épisodes, jusqu’à la toute fin, d’une amertume assez folle. Ce qui ne l’empêche pas, hélas, d’être parfois encore loin de la réalité. On sent que les scénaristes ont tenté de s’approcher de ce qui se passe dans le pays, tout en restant sur leur propre voie, et c’est très bien ainsi. On apprécie Veep avant tout pour ses personnages et notamment pour Selina Meyer, si parfaitement interprétée par une Julia-Louis Dreyfus qui n’a jamais été aussi bonne. L’actrice est à l’aise dans ce rôle, cela se voit et les énormités qu’elle peut balancer à longueur d’épisode sont jouissives.

Le seul regret que l’on pourrait avoir finalement, c’est que cette ultime saison est trop courte, mais la série est restée sur un excellent niveau d’un bout à l’autre, avec une capacité toujours intacte à critiquer, violemment par moments, notre société. La fin est à cet égard très impressionnante et déchirante.


  1. Le cas le plus connu ces dernières années est certainement House of Cards, mais c’est loin d’être le seul et la liste est même longue