Premier film réalisé avec un budget modeste – 4,5 millions de dollars, tout de même –, Get Out a créé la surprise en attirant plusieurs dizaines de millions de spectateurs et rapporté plus de 250 millions de dollars au box-office. Bref, un petit projet et un énorme succès, une histoire comme Hollywood les aime tant, mais il faut bien reconnaître que le long-métrage réalisé par Jordan Peele n’a pas démérité son succès. Présenté comme un film d’horreur, il en respecte effectivement les codes, mais il ne se limite pas à un seul genre. Thriller teinté d’humour et surtout pamphlet contre le racisme incrusté aux États-Unis, Get Out est plein de surprises et c’est une excellente surprise, à ne pas rater.
Get Out commence par poser le cadre et ses personnages, un jeune couple qui va passer le week-end dans une maison isolée au milieu des bois. Cela ressemble à n’importe quel autre film d’horreur, mais Jordan Peele impose d’emblée sa différence. Le couple est mixte, lui est noir, elle est blanche, et ils vont passer le week-end chez les parents de la fille, pour la première fois. La question du racisme se pose dès ces premières minutes : Rose (Allison Williams, très bien dans son rôle de fille trop parfaite) n’a jamais dit à ses parents que Chris (Daniel Kaluuya, impeccable dans ce rôle qui implique un changement très progressif d’attitude) était noir et il est inquiet de la réaction de ses beaux-parents, même si sa copine ne cesse de dire qu’ils ne sont pas racistes. Pour bien planter le décor, le réalisateur avait même glissé une scène avant le générique, avec l’enlèvement d’un noir dans une banlieue que l’on imagine sans peine chic et donc blanche. Le cadre est posé et cette thématique raciste ne quitte jamais le film, elle le traverse même et s’avère être le sujet principal, bien plus que l’intrigue principale qui se met en place avec les présentations officielles et le sentiment qui se déploie très vite que rien ne va. Les parents de Rose sont très sympas et ouverts, peut-être même un peu lourds sur l’importance de la présidence Obama et sur leur volonté de ne pas paraître racistes. Mais il y a les deux serviteurs noirs qui toisent constamment Chris du regard et qui ne se comportent pas normalement. Et bientôt, il y a des dizaines d’amis de la famille, tous blancs, tous aussi sympathiques en apparence, mais tous aussi dans les clichés grossiers sur les races. Une femme tâte les biceps du jeune homme et interroge la copine sur la taille de son pénis, un autre demande si c’est un avantage ou un inconvénient d’être noir, un troisième lance l’idée que le noir est devenu cool… très vite, le personnage principal n’en peut plus et il cherche à partir. En apparence, sa copine le soutient, mais c’est à ce stade que le piège se referme et que la mécanique d’horreur se met en place.
Le scénario est ainsi construit sur l’idée d’un crescendo, d’une montée en puissance d’éléments qui ne collent pas et qui deviennent de plus en plus anormaux. Jordan Peele sait ménager ses effets et Get Out commence davantage sur un ton de comédie sociale, dans l’esprit de Devine qui vient dîner… par exemple. Le racisme est au cœur des enjeux, ce qui est hélas logique pour un couple mixte à notre époque, mais le ton reste assez léger. Même si le trajet en voiture est entaché par un accident avec un cerf, toute la première partie du film suit la convention, avec la visite bizarre du domaine par le père de famille et l’installation des deux amoureux dans la chambre. L’histoire contient ici ou là quelques éléments décalés, essentiellement avec les domestiques, mais on est encore loin de comprendre ce qui se passe. D’ailleurs, le réalisateur conserve la majorité des éléments jusqu’à la toute fin, quand il dévoile enfin la macabre vérité. À ce stade, c’est comme un puzzle qui vient d’être complété et le spectateur peut, rétrospectivement, comprendre bien plus de choses, des allusions glissées ici ou là qui prennent tout leur sens. La plus grande force de Get Out est bien là : le scénario n’explicite pas tout et il laisse des petits indices partout, des éléments souvent insignifiants sur le moment donné, mais qui se comprennent à la toute fin. Par exemple, l’anecdote sur le grand-père athlète de Rose qui a failli gagner les Jeux Olympiques de 1936 prend tout son sens quand on découvre toute la réalité. Naturellement, les métiers des parents de Rose sont essentiels aussi, mais on ne le sait pas d’emblée. Le tout est toujours souligné par des piqûres de rappel sur le racisme et le passé esclavagiste du pays. C’est parfois explicite, c’est souvent subtil, comme lorsque le héros utilise du coton pour ne pas être hypnotisé à la fin.
L’air de rien, Get Out s’impose presque comme un film politique, en tout cas une œuvre beaucoup plus engagée que son simple synopsis pouvait le laisser entendre. Certes, Jordan Peele rassemble les clichés du genre pour signer un long-métrage entre thriller et horreur. Mais tout cela n’est qu’une excuse pour évoquer le cœur du véritable problème, les clichés racistes sur les noirs. À cet égard, la place de la police dans le film, dès le départ, est très intéressante, à la fois dans le traitement différent des deux populations et à la fois dans les moqueries quand l’ami de Chris dévoile son hypothèse. Get Out paraît simple au premier abord, mais il dévoile progressivement toute sa richesse et il devrait bien tenir le poids des années. Une belle réussite !