Darren Aronofsky est un spécialiste des films angoissants, parfois à la limite du supportable. Sans surprise, mother! entre directement dans cette catégorie : ce huis clos horrifique est un thriller bourré de symboles souvent bibliques, une œuvre nettement plus complexe et intéressante qu’on pourrait le croire au premier abord. C’est aussi un spectacle de deux heures qui peut s’avérer éprouvant, tout comme l’on peut complètement passer à côté du message et n’en garder que le souvenir d’un grand n’importe quoi qui part dans tous les sens sans explications. Quoi qu’il en soit, mother! ne laissera probablement personne indifférent et c’est bien un signe de réussite. À tout le moins, c’est une expérience radicalement originale de cinéma et à ce titre, le film mérite le détour. Au mieux, c’est une relecture biblique terrifiante qui restera longtemps en mémoire.
Loin de livrer directement toute l’amplitude de son œuvre, le cinéaste commence mother! avec les prémisses d’un film d’horreur assez traditionnel. Un couple dans une grande maison en bois, un manoir victorien qui craque partout et qui semble chargé d’histoire. Le scénario nous apprend d’emblée qu’il y a eu un terrible incendie, quelques années auparavant, mais que la femme du propriétaire, un mystérieux poète, a tout reconstruit à l’identique. Elle passe ses journées dans les travaux de la maison, pendant que lui les passe dans son bureau, à essayer de trouver l’inspiration. Darren Aronofsky entretient le doute pendant longtemps, instillant ici ou là des marqueurs du genre de l’horreur. Des bruits que l’on entend, l’inquiétude visible sur le visage de son personnage féminin, des visions bientôt… Toute la première partie du projet est intéressante pour cette aura de mystère. Plusieurs explications sont encore possibles, cela pourrait être une banale maison hantée, un huis clos d’horreur ou pourquoi pas même une histoire psychiatrique, avec les visions d’une patiente dans une maison de repos. Rien n’est vraiment déterminé et le choix de mother! de se concentrer exclusivement sur le personnage de la femme est intéressant à cet égard. Les caméras du cinéaste virevoltent — parfois un poil trop, d’ailleurs — autour du visage de Jennifer Lawrence et l’actrice est quasiment constamment au cœur du cadre. C’est un phénomène enivrant qui contribue au sentiment d’étouffement qui prend vite le spectateur. Le fait qu’on ne sorte jamais, jamais, de la maison, y contribue aussi. Même si on ne peut pas encore savoir pourquoi exactement, Darren Aronofsky parvient à créer une ambiance inquiétante et qui met profondément mal à l’aise. C’est encore plus le cas quand le couple d’étrangers débarque dans la maison et qu’ils prennent leurs aises, s’installent et font des remarques perfides sans y avoir été invités. Comme le personnage principal, on ne comprend pas ce qui se passe et on est quasiment une victime collatérale de leur manque de gêne. Très clairement, le long-métrage s’éloigne de son genre de départ, mais pour quelle raison ? Petit à petit, le scénario dévoile tout son enjeu et l’ampleur du projet éclate progressivement.
C’est bien le coup de force de Darren Aronofsky sur ce nouveau projet : commencer l’air de rien sur un huis clos tendance horreur assez classique à première vue, pour terminer sur une métaphore de la planète, tout simplement. On finit par comprendre que le mari poète représente Dieu, que la femme est la nature et que la maison représente la planète. Quand ce trio est posé, le reste du puzzle se complète tout seul, à partir de l’Ancien Testament : l’homme et la femme qui débarquent au départ, dans cet ordre là, ce sont Adam et Ève ; le cristal dans le bureau représente la pomme ; les deux frères qui s’entretuent sont Abel et Caïn. En poursuivant cette logique, on peut associer le départ provoqué par le poète de tous ceux qui sont entrés une première fois dans la maison au déluge de la Bible. Le nouveau texte écrit par le poète ? Peut-être Le Nouveau Testament et en tout cas, Darren Aronofsky représente dans la foule qui entre finalement dans la maison l’humanité qui vient souiller et détruire la planète sans jamais prendre au sérieux la nature. Les camps qui se forment, les guerres de religion, le sacrifice de l’enfant du couple… on navigue toujours entre le texte religieux des Chrétiens et l’histoire de l’humanité et cette concentration en quelques séquences est très impressionnante. Cela paraît bordélique, mais mother! est parfaitement cohérent et, une fois que l’on comprend sa symbolique, il est assez facile à suivre. Le réalisateur reste volontairement flou sur quelques points — l’identité de l’enfant n’est pas tout à fait clair, on pense à Jesus, mais quel rapport avec la nature divinisée ? —, mais les grandes lignes sont assez évidentes à appréhender. L’ensemble force le respect, d’autant que l’on reste toujours à l’intérieur de la maison, ce qui n’a sans doute pas simplifié le tournage. Notons aussi l’absence quasiment totale de musique : Darren Aronofsky avait prévu une bande-originale, mais il a choisi pendant le montage de s’en passer et c’est effectivement le bon choix. Le sentiment d’oppression que l’on peut ressentir est encore plus fort et on a souvent l’impression de suffoquer. Ce n’est pas une expérience qui laisse indifférent et même si on peut passer totalement à côté, on ne peut nier pour autant l’inventivité du film.
Le dernier projet de Darren Aronofsky a divisé la critique et globalement déplu au grand public si l’on en juge à son succès en salles. On peut comprendre pourquoi, mother! est encore une fois une œuvre presque déplaisante à regarder, en tout cas un huis clos où l’on a du mal à respirer, un long-métrage qui joue souvent sur le malaise du spectateur et qui brasse des sujets pas toujours évidents à appréhender. Une chose est sûre, le film ne laisse personne indifférent et il est intéressant, même si vous ne l’appréciez pas nécessairement. Néanmoins, si vous comprenez tous les symboles, mother! est un formidable jeu de pistes, un puzzle presque, et une vision horrifique de l’humanité qui marque durablement. Dans tous cas, vous auriez tort de passer à côté.