Steven Spielberg a réalisé Pentagon Papers pendant la post-production d’un autre de ses projets, l’ambitieux Ready Player One qui sortira aussi dans les salles dans quelques mois. Loin de la complexité d’une œuvre de science-fiction, ce drame historique pouvait être mené à son terme nettement plus rapidement, ce qui explique ce choix. Le cinéaste a par ailleurs indiqué que le film était important aujourd’hui et ne pouvait pas attendre quelques années, mais malgré tout, cela montre bien que l’on a affaire à une œuvre nettement plus modeste. De fait, Pentagon Papers se range dans la cinématographie de Steven Spielberg même catégorie que Le Pont des Espions, un film extrêmement classique, parfaitement réalisé, intéressant, mais pas inoubliable.
Pentagon Papers s’intéresse à un fait historique précis : la publication par la presse américaine de documents secrets concernant la guerre du Vietnam. On est alors au tout début des années 1970, alors que la guerre durait depuis une quinzaine d’années, sans aucun progrès net de la part de l’armée américaine et de ses alliés. Ces documents sont un rapport commandé par l’armée à des universitaires et ils sont accablants : ils prouvent non seulement que la guerre ne pouvait pas être gagnée, mais qu’en outre, les présidents américains successifs étaient au courant et ont ouvertement menti aux Américains depuis le départ. Une affaire énorme, que le New York Times dévoile le premier, mais Steven Spielberg opte pour un angle plus spécifique pour évoquer toute l’affaire. Son long-métrage s’intéresse avant tout au Washington Post, un quotidien concurrent qui était à l’époque avant tout une publication locale et prestigieuse par ses contacts avec le gouvernement américain. Katherine Graham est à sa tête et la riche héritière du fondateur du journal entend maintenir l’entreprise familiale en bonne forme et entreprend quand le film se met en place de la faire entrer en bourse. Dans le même temps, l’affaire des papiers du Pentagone remet en cause ses bonnes relations avec l’univers politique où elle a beaucoup d’amis, mais aussi avec l’univers financier qui voit d’un mauvais œil la menace d’un procès entre le Washington Post et la présidence Nixon. Ajoutez à cela le rédacteur en chef, Benjamin Bradlee, qui veut tout faire pour publier les documents et vous obtenez un contexte de tensions extrêmes qui est au cœur de Pentagon Papers.
Même si la crise politique est toujours en arrière-plan et même si elle est le moteur principal de l’action, Steven Spielberg s’intéresse avant tout au conflit entre la propriétaire du journal et le rédacteur en chef, tout en évoquant constamment un enjeu fondamental autour de la liberté de la presse. Pentagon Papers commence au cœur de la guerre du Vietnam pour montrer que les hommes politiques mentaient ouvertement sur le conflit et ses chances de succès, mais il se déroule ensuite essentiellement au sein de la rédaction du journal et aux domiciles des deux personnages principaux. Les difficultés de Katherine Graham pour s’imposer après la mort de son mari qui dirigeait auparavant le quotidien sont un élément important, tout comme l’envie de Benjamin Bradlee d’informer le public et aussi d’atteindre le niveau du New York Times. Le réalisateur parvient très bien à dresser le bilan des enjeux, de la liberté de la presse et son rôle de surveillance des politiques, et aussi l’orgueil du rédacteur en chef qui rêve de faire du Washington Post une institution majeure, sans oublier la peur de la propriétaire de détruire l’héritage familial. Steven Spielberg a le don de passionner avec ses histoires, le rythme reste tendu pendant près de deux heures et le récit est très intéressant. Il met bien en avant à la fois la proximité malsaine entre le pouvoir et les journalistes, mais aussi les mensonges sans honte des dirigeants, mais encore le machisme absolu de cette société qui considérait toujours qu’une femme ne pouvait certainement pas diriger une entreprise. Tous ces éléments sont dévoilés sans accroche, c’est de l’excellent travail de la part du réalisateur qui compose un film hyper classique, mais mené à la perfection. Les deux acteurs principaux, Tom Hanks comme Meryl Streep, sont également tout à fait à leur place, sans faire d’étincelles, mais avec une interprétation solide.
Tout ceci est très bien, mais Pentagon Papers ne sort pas du lot pour autant. On comprend bien les motivations de Steven Spielberg, les mensonges de Nixon évoquent ceux de Trump et on sent bien que le cinéaste a voulu réaliser une œuvre davantage politique qu’historique. Tout ceci est très bien et c’est réalisé sans folie, mais de manière solide. C’est un petit film très classique, de la mise en scène à la musique1 en passant par le jeu d’acteurs. Il n’y a aucun problème à cela et Pentagon Papers se déguste avec plaisir. Espérons tout de même que Steven Spielberg ne se contente pas de cela et qu’il fasse preuve de davantage d’ambition à l’avenir… réponse dès le mois de mars avec Ready Player One.
- Le fidèle John Williams est aux commandes et il propose une bande-originale très… John Williams. ↩