Le dernier film de Martin McDonagh se construit autour de trois panneaux, qui lui ont donné son titre. Une idée intrigante, parce ce qu’on se demande bien comment un long-métrage entier pourrait tenir sur trois panneaux publicitaires à proximité de la petite ville fictive d’Ebbing, Missouri, comme le titre original le précise. Pourtant, Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance1 est bien plus riche et intéressant que son nom laisse entendre. Ces trois panneaux ne sont au fond qu’une excuse. Une excuse pour parler d’une mère détruite par la mort horrible de sa fille. Une excuse pour présenter une paisible communauté qui va exploser face à une vérité que tout le monde voulait ignorer. Une excuse pour ouvrir un excellent drame, porté par une Frances McDormand, impeccable comme toujours. L’air de rien, Martin McDonagh signe une œuvre riche et intense, qui mérite le détour.
Trois immenses panneaux publicitaires abandonnés sur le bord d’une route comme les États-Unis en comptent des milliards. Il reste des preuves d’une utilisation ancienne, mais le bois est manifestement en train de pourrir et plus personne ne les utilise. Il faudrait être idiot pour afficher quoi que ce soit sur ces panneaux maintenant que l’autoroute a vidé la route sur laquelle ils sont installés, tout le monde le sait. Tout le monde, sauf Mildred Hayes qui se rend au début du film dans l’agence publicitaire qui possède les emplacements pour les louer pendant un mois, en exclusivité. Elle ne cherche pas à vendre un produit, non, elle entend afficher un message à la police de la ville d’Ebbing : cela fait sept mois que sa fille a été violée et tuée, et l’enquête n’a jamais avancé. Sur ces affiches, en immenses lettres noires sur fond rouge, elle rappelle les faits, indique qu’il n’y a toujours eu aucune arrestation et surtout met directement en cause Bill Willoughby, le chef de la police. Et même si ces panneaux étaient jugés superflus, l’héroïne de Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance obtient l’effet qu’elle désirait. Tout le monde ne parle plus que de cela, et bientôt, cette petite ville que l’on imagine paisible d’ordinaire explose. Deux camps se forment, les figures d’autorité locales se liguent toutes contre Mildred, la police évidemment, mais aussi l’Église ou encore le dentiste du coin. D’autres la soutiennent aussi toutefois, notamment les Afro-américains bien contents que quelqu’un s’en prenne enfin à la police ouvertement raciste et soupçonnée d’avoir pratiqué la torture. Ebbing pourrait être vue en quelque sorte comme un concentré de tous les États-Unis et de ses problèmes ; cette voie politique n’est pas celle qui est privilégiée par le réalisateur toutefois, qui préfère davantage se concentrer sur les individus. Même si le long-métrage est indéniablement politique pour de nombreuses raisons, il tend finalement davantage vers le drame familial.
Il est bien question de drame en effet, avec cette famille visiblement détruite par le viol et meurtre d’Angela, même pas vingt ans. Non pas que la famille Hayes baignait dans le bonheur avant cela, le mari violent faisait souffrir sa femme autant que ses deux enfants, mais les quelques brides de passé que Martin McDonagh fait ressurgir ici ou là montrent qu’elle avait trouvé un équilibre, et même de la joie au milieu des engueulades de deux adolescents. Nonobstant ces flashbacks qui restent fort heureusement brefs, Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance préfère néanmoins rester concentré sur les quelques jours qui suivent l’installation des publicités sur les panneaux, et sur une période bien plus difficile. Mildred, la mère, n’est manifestement plus que l’ombre d’elle-même, elle a perdu toute joie de vivre et elle ne vit plus qu’avec une idée en tête : venger sa fille. Et puisque la police ne retrouve pas le coupable, elle se reporte sur celle-ci et attaque son incapacité à résoudre le crime avec ses panneaux. Le personnage incarné par Frances McDormand est entièrement dans cette lutte, il n’a aucune autre raison de vivre et d’avancer, et l’actrice parvient cruellement bien à le rendre. Elle n’est pas stoïque et immobile, au contraire même, elle agit et souvent de manière impulsive et violente, que ce soit physiquement contre le dentiste, ou verbalement contre le prêtre qui essaie de lui faire la morale. Elle n’entend pas se laisser faire, mais elle a aussi perdu totalement le sens des limites. S’en prendre à un homme mourant, frapper des lycéens, incendier un poste de police… tuer ? Le scénario a la bonne idée de laisser certaines questions en suspens et ce personnage principal est sans conteste l’un des plus gros points forts de Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance. Même s’il ne faut pas oublier pour autant les personnages secondaires, à commencer par un Woody Harrelson très correct dans le rôle du chef de la police, même si c’est surtout le nom de Sam Rockwell qui reste en tête. L’acteur incarne un policier troublé et violent, dont on peine à voir le « bon fond » que son supérieur ne cesse de mettre en avant. Son jeu est déroutant de naturel et son personnage, loin de la caricature que l’on pouvait attendre, révèle progressivement toute sa richesse. Une très belle performance.
Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance peine sans doute à impressionner par son point de départ étonnamment trivial, mais on aurait tort de s’arrêter à cette première impression. Le long-métrage de Martin McDonagh surprend par sa force et même la colère de son personnage principal et le résultat est l’explosion saisissante d’une famille et aussi d’une société toute entière. L’ensemble est parfaitement maîtrisé et passionnant, une réussite en somme.
- S’il existait un oscar pour les titres de films traduits n’importe comment en français, celui-ci gagnerait facilement. ↩