L’histoire de l’Expédition Franklin est mieux connue dans le monde anglo-saxon et globalement méconnue dans notre culture. C’est pourtant un mystère qui a passionné des dizaines de génération et qui n’est toujours pas totalement résolu1. La disparition des deux navires qui essayaient de trouver une voie navigable par le Nord, entre l’arctique et le Canada, au milieu du XIXe siècle était le sujet d’un roman de Dan Simmons publié en 2007. Une dizaine d’années après, AMC l’adapte avec The Terror, une série de dix épisodes. David Kajganich et Soo Hugh suivent assez fidèlement le roman, même si le scénario a été adapté pour les besoins du médium, surtout sur la fin. Entre reconstitution historique fidèle et touche de fantastique, la terreur imaginée par Dan Simmons est bien reproduite et la saison mérite d’être vue.
Le roman commençait à l’automne 1847, deux ans après le début de l’expédition et alors que les deux navires, le HMS Terror et le HMS Erebus, sont bloqués depuis quelques semaines dans les glaces au large de l’île du Roi-Guillaume. Dan Simmons remontait ensuite le temps avec une série de flashbacks qui permettaient de comprendre ce qui s’était passé, mais l’adaptation pour la télévision opte pour une structure narrative plus linéaire. Même si on ne suit pas l’expédition depuis son départ en Angleterre, le premier épisode de The Terror commence alors que les deux bateaux naviguent dans les eaux glaciales, mais encore dégagées. David Kajganich et Soo Hugh gardent néanmoins l’idée que l’expédition n’a pas avancé comme elle le devait et qu’elle patine un petit peu. Il s’est passé de nombreux mois avant cela et la recherche d’un passage navigable dans la région, le but de l’expédition, n’a rien donné jusque-là. Les deux capitaines des navires s’opposent sur la suite à donner : le capitaine Crozier du HMS Terror a déjà navigué dans la région, il la connaît bien et il est partisan d’un repli stratégique vers le sud. Le capitaine Franklin du HMS Erebus est toutefois son supérieur hiérarchique et il est persuadé qu’ils sont proches de la victoire. Il veut y croire, tout comme il pense que Dieu sauvera tout l’équipage et c’est lui qui finit par bloquer les deux navires dans la glace. Tout ceci se passe très rapidement dans la série, comme s’il fallait rejoindre le livre le plus vite possible. De fait, le rythme de l’ensemble de la saison n’est pas régulier. The Terror commence vite, mais finit par être ralentie, comme ses personnages au fond, bloqués par la glace et l’environnement hostile. Plus les épisodes avancent, et plus l’action ralentit, jusqu’à la fin quasiment à l’arrêt, qui est presque l’équivalent arctique de la plongée au cœur de la jungle d’Apocalypse Now. C’est un choix assez étonnant pour une série, déstabilisant par moment, mais tout à fait adapté dans ce cadre et on reste pris par l’intrigue jusqu’au bout.
Il faut dire que si la série portée par AMC, comme le Terreur de Dan Simmons d’ailleurs, s’inspire avant tout de faits historiques, elle n’en reste pas à une simple reconstitution réaliste. Notons malgré tout que le travail sur les décors, les costumes et les méthodes de la marine britannique du milieu du XIXe siècle est excellent. On sent bien que The Terror a été tournée exclusivement en studio et souvent sur fond vert, mais ses créateurs ont été malins, en privilégiant au maximum les séquences en intérieur, puis en jouant sur le climat difficile ou la nuit permanente en hiver, pour limiter les effets numériques. Il n’y en a pas trop pour se retrouver face à des placages numériques qui cassent totalement l’illusion, mais suffisamment malgré tout pour poser le contexte et le froid. Le roman parvenait mieux à transmettre la terreur de ces températures qui ne montent jamais au-dessus de 0° et qui peuvent atteindre les -50° en hiver. On sentait mieux le danger pour les marins, l’interdiction formelle de sortir ne serait-ce qu’un membre, même brièvement, sous peine de le perdre quasiment à coup sûr. Tout comme le danger des contacts avec le métal, qui conduisaient irrémédiablement à perdre de la peau. Tout cela est en toile de fond dans The Terror, mais il est vrai que le froid n’est pas le danger sur lequel les scénaristes ont travaillé en priorité. Ils ont privilégié la part de fantastique insufflée par le romancier, cette bête monstrueuse qui poursuit et dévore les hommes. David Kajganich et Soo Hugh ont privilégié là aussi la discrétion et au départ, on devine des formes davantage que l’on voit le monstre. Ce sont les meilleurs moments de la série, l’horreur de cette menace irréelle qui devient de plus en plus tangible au fil des jours. Quand on la voit plus directement, on peut être relativement déçu par sa forme assez banale, mais ce n’est pas si grave, car la série part vers d’autres sujets. Quand les deux navires sont abandonnés et que l’exode à pied commence, les épisodes se transforment profondément, l’action freine et disparaît presque, on se concentre sur de moins en moins de personnages et The Terror devient une étude des horreurs humaines. Et en particulier, à ce que l’homme est prêt à faire pour survivre dans les pires conditions, comme c’est le cas dans ce désert glacé.
En dix épisodes, la série d’AMC a plutôt bien réussi à maintenir l’esprit du roman original, ce qui n’est jamais facile. The Terror prend quelques libertés et allège des pans entiers du travail de Dan Simmons, mais elle n’en reste pas moins prenante et très impressionnante par moments. On ressent bien la terreur de ces hommes prisonniers de la glace et d’un univers qui semble tout entier consacré à chercher leur mort. À cet égard, c’est une réussite et on peut également saluer le choix d’une progression decrescendo, avec un rythme qui baisse en intensité et une fin étonnamment lente et vide. Il y a bien des défauts ici ou là, quelques facilités scénaristiques dont on aurait pu se passer, mais The Terror est dans l’ensemble une réussite, à découvrir.
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- Les épaves n’ont été retrouvées qu’en 2014 et 2016, mais des questions restent encore en suspens. De nouvelles recherches seront sans doute lancées dans les années à venir, pour essayer de comprendre ce qui s’est passé, exactement. ↩