Alfonso Cuarón s’est fait connaître du grand public avec un épisode de la saga Harry Potter, puis des œuvres de science-fiction, mais son dernier projet est beaucoup plus personnel. Roma est partiellement autobiographique, le cinéaste mexicain est allé puisé dans ses souvenirs pour reconstituer le Mexico des années 1970 et imaginer une famille qui ressemblait fortement à la sienne. Partiellement seulement, parce que le personnage principal du long-métrage n’est pas un petit garçon qui rêve de cinéma, mais Cleo, l’une des bonnes de la famille. Le résultat est un film assez contemplatif, magnifié par une photographie sublime et porté par un drame familial touchant. Une très belle réussite.
Dès le générique d’ouverture, le cinéaste annonce la couleur. La caméra est posée sur les pavés d’une cour, on entend qu’une personne fait le ménage à côté et après une minute ou deux, de l’eau arrive à l’image, dévoilant un morceau de ciel. Un avion passe, le nettoyage se poursuit et forme comme des vagues sur la plage, avant que la caméra monte pour filmer l’arrivée du père de famille. Roma a été tourné en noir et blanc, et on sent bien qu’Alfonso Cuarón a porté un soin tout particulier à la mise en scène et à l’image. Le réalisateur est aussi directeur de la photographie et même co-monteur du film, autant dire qu’il est difficile d’être plus impliqué à tous les niveaux. C’est un projet extrêmement personnel, qui impliquait probablement un contrôle total de la part du cinéaste sur le résultat final. Et disons-le, ce résultat est sublime. La caméra est tantôt fixe et laisse l’intrigue avancer dans ce cadre, ou bien en déplacement, avec des mouvements de la caméra souvent en cercle. On retrouve parfois son travail réalisé sur Gravity, avec ces plans qui s’étirent et ces caméras qui sont toujours positionnées au bon endroit, que ce soit dans la maison, dans la cour ou même dans une voiture. Pour accompagner cette image, Roma offre aussi une bande sonore riche et en même temps entièrement « naturelle ». Il n’y a aucune musique extérieure à l’action, mais les microphones enregistrent le son à 360° et le film s’apprécie encore plus avec des enceintes derrière vous. Dans certaines scènes, le personnage qui parle n’est pas face à la caméra et ce sont les enceintes arrière qui sont utilisées, ce qui reste assez rare en général au cinéma. En combinant l’image et le son, Alfonso Cuarón plonge les spectateurs dans une sorte de bulle qui contient le Mexico de son enfance. C’est clairement bluffant, même s’il faut avoir un bon équipement pour en profiter.
La technique, c’est très bien, mais un film raconte avant tout une histoire. Celle de Roma n’a rien d’extraordinaire, elle se situe davantage au rang du drame du quotidien. On suit Cleo au jour le jour, quand elle s’occupe des quatre enfants de la famille ou des deux parents, ou bien quand elle sort avec l’autre servante de la maison et des amis. Elle couche avec un type qui l’abandonne dès qu’il apprend qu’elle est enceinte et même si le drame s’immisce quand même par endroit, Alfonso Cuarón n’essaie pas de maintenir l’intérêt artificiellement avec des rebondissements spectaculaires. C’est même tout l’inverse, il fait avancer son histoire par petites touches discrètes. Pendant les quelques mois qui occupent l’intrigue, le couple se sépare, le mari part avec une femme nettement plus jeune et il abandonne sa famille derrière. Ce n’est jamais dit explicitement toutefois, on le sent venir quand la femme essaie de retenir son mari avant son départ à une conférence et on le comprend par bribes, quand il ne revient pas. Mais Roma avance toujours de la sorte, par allusions discrètes. Ce n’est pas un film historique, même s’il se déroule à une époque où le Mexique est traversé par des troubles politiques et on assiste même au massacre de Corpus Christi de 1971, où une centaine d’étudiants ont été tués pendant une manifestation. Tout est là, mais le réalisateur se contente de montrer, sans commentaires inutiles. De la même manière, l’espagnol rencontre le mixteque, la langue des indigènes et qui est aussi celle des serviteurs. Derrière ces différences linguistiques, on sent tout un contexte social et racial, mais le scénario ne s’y arrête pas plus. Le cinéaste se concentre ainsi sur ses personnages et il n’essaie jamais d’en faire trop. Quitte à ne pas en faire assez ? Le long-métrage peut sembler un petit peu vide par moments, mais il suit son propre rythme et il n’est jamais ennuyeux pour autant. Roma est une œuvre qui s’apprécie en prenant le temps, en s’immergeant complètement dans le film et en se laissant porter sans savoir où l’on va.
Le cinéaste revendique une inspiration du côté de Proust pour ce Roma, rien que ça. C’est peut-être trop, mais on retrouve en effet une même attention aux détails et à l’ambiance pour recréer au mieux une époque et des sensations. Cette approche peut impressionner, mais ne vous laissez pas intimider. Alfonso Cuarón n’essaie pas d’être élitiste par principe et son dernier long-métrage se regarde facilement et avec plaisir, grâce notamment au talent de ses acteurs, tous impeccables. Roma mérite indéniablement le détour.