First Man : Le Premier Homme sur la Lune, Damien Chazelle

L’histoire de Neil Armstrong et de Buzz Aldrin, les deux premiers hommes à marcher sur la Lune, est sans doute l’une des plus connue du XXe siècle. Les images associées à cette histoire, les mots de l’astronaute quand il pose son pied… tout cela est entré dans la légende. La dernière réalisation de Damien Chazelle se construit autour de cet objectif, le point d’orgue final de ce film de près de deux heures trente. Mais ce qui intéresse avant tout le cinéaste, c’est l’homme lui-même, et les préparatifs. First Man : Le Premier Homme sur la Lune évoque les années qui précèdent la mission Apollo 11, la vie de pilote d’essai de Neil Armstrong, ses débuts comme astronautes, les missions préliminaires… et aussi sa famille, le deuil difficile de sa fille morte très jeune ou encore sa gestion compliquée du mariage. Basé sur une biographie, ce biopic évite l’effet medley trop souvent associé au genre en ne racontant pas tout, et il contient de très beaux moments. Même si, paradoxalement, Damien Chazelle aurait peut-être mieux fait de s’épargner l’épisode lunaire et de se concentrer sur le reste.

Loin de la Lune, First Man : Le Premier Homme sur la Lune commence dans le cockpit de l’avion que le pilote Neil Armstrong teste pour l’armée américaine. Damien Chazelle ouvre son film sans jamais quitter ce cockpit, la caméra souvent rivée sur le personnage qui enchaîne les manœuvres pour monter toujours plus haut, jusqu’à la limite de l’atmosphère. Une manœuvre le propulse au-delà de l’atmosphère pendant quelques secondes, mais il parvient à s’en sortir et atterrit sain et sauf. Cette première séquence est extrêmement intense et elle offre une bonne introduction au personnage dans son environnement de travail. Le long-métrage s’attache à son parcours depuis ce début des années 1960 où Neil Armstrong pilote des avions, jusqu’à la Lune, en juillet 1969. Le scénario suit ses évolutions professionnelles, avec sa participation au projet d’exploration spatiale de la NASA, puis sa montée en grade jusqu’au pilotage de l’appareil qui devra alunir pour la première fois. Mais en plus de cette histoire officielle et publique, le film s’intéresse aussi à l’histoire privée de l’homme, c’est-à-dire à sa famille et ses relations personnelles. Ainsi, après la première séquence dans le cockpit, First Man : Le Premier Homme sur la Lune se poursuit avec l’évocation du cancer de Karen, sa jeune fille qui meurt très vite dans le film. Cette mort lui offre l’opportunité de quitter la Californie pour le Texas, où la NASA a établi son programme de recherche spatial, mais elle le hante aussi pendant toute sa vie. C’est l’angle que Damien Chazelle souhaite mettre en avant, et même sur la Lune, le réalisateur privilégie l’intime à l’Histoire. Certains passages obligés ont été conservés, comme le grand pas pour l’Humanité que l’on ne pouvait sans doute pas éviter, mais au lieu de se concentrer sur le drapeau, le cinéaste préfère montrer l’homme laisser un souvenir de sa fille sur la Lune1. Ce parti-pris permet au projet d’éviter le piège du trop plein des biopics, mais il est parfois aussi un petit peu lourd. On se serait bien passé de quelques flashbacks pas toujours subtils, même s’il faut reconnaître que leur nombre reste limité.

Mêler l’histoire personnelle et l’Histoire que tout le monde connaît par cœur n’est pas facile, et le film y parvient avec plus ou moins de succès en fonction des séquences. Toute la première partie est très réussie, certainement parce que la vie de Neil Armstrong avant de devenir celui qui a posé le premier un pas sur la Lune est moins bien connue, et donc plus intéressante. Damien Chazelle décrit fidèlement les programmes spatiaux de la NASA, Gemini puis Apollo, même s’il aurait peut-être pu insister encore davantage sur le fait qu’il s’agissait de bricolages dangereux. La mort rôde en permanence, des fusées peuvent exploser en plein vol, les missions peuvent mal se passer, et parfois un simple test sur la surface terrestre peut détruire un équipage entier et autant de familles. First Man : Le Premier Homme sur la Lune essaie de toujours garder l’équilibre entre les deux, entre ce désir de conquête spatiale et les familles logées dans une banlieue anonyme, les femmes et enfants qui restent à la surface et qui n’ont rien d’autre à faire qu’espérer le retour sain et sauf de leur mari ou père. L’une des plus belles scènes du film se déroule juste avant le départ de Neil pour la mission Apollo 11, alors qu’il doit annoncer à ses deux garçons qu’il ne reviendra peut-être jamais. Le réalisateur montre bien également les tensions au sein du couple, et il faut relever les prestations de Ryan Gosling et de Claire Foy, parfaits dans leurs rôles respectifs. Sur la partie histoire officielle, Damien Chazelle offre d’excellents moments, à l’image de la mission Gemini 8 qui a frôlé la catastrophe et qui est l’occasion d’une scène particulièrement prenante et réussie, peut-être la meilleure du long-métrage. Le réalisateur a parfaitement réussi à reconstituer l’ambiance d’angoisse qui devait prévaloir à bord, il évite les plans extérieurs pour se concentrer à nouveau à l’intérieur de la cabine et c’est d’une redoutable efficacité. Malheureusement, l’épisode lunaire est nettement moins impressionnant. Peut-être parce qu’on le connaît trop bien, mais c’est aussi parce que les choix de mise en scène ne sont pas aussi bons. Là où Gemini 8 était vécu de l’intérieur et sans musique, First Man : Le Premier Homme sur la Lune essaie de donner la mesure de l’importance d’Apollo 11 en filmant au contraire de l’extérieur et avec une bande-originale qui devient subitement envahissante.

Damien Chazelle pouvait-il recréer cette séquence mythique sans tomber dans le piège des passages obligés et clichés qui s’enchaînent sur une musique censée donner le sens de l’importance de l’événement ? Quoi qu’il en soit, ce n’est clairement pas le meilleur moment du film et First Man : Le Premier Homme sur la Lune est bien plus intéressant avant Apollo 11. Le long-métrage aurait peut-être gagné à consacrer plus de temps aux préparatifs, pourquoi pas en consacrant plus de temps aux inégalités sociales et raciales de l’époque, qui sont juste évoquées en passant. Ce n’est pas un échec pour autant et il y a suffisamment de moments réussis pour justifier de le voir, mais First Man : Le Premier Homme sur la Lune laisse un sentiment mitigé, comme si Damien Chazelle était passé à côté d’un grand film. Dommage.


  1. Malheureusement, cette bonne idée est gâchée par le fait qu’il s’agit de pure fiction. Damien Chazelle a inventé cette histoire, Neil Armstrong n’a jamais déposé ce bijou associé à sa fille. Alors que le film est par ailleurs très précis et juste, pourquoi avoir ajouté cette anecdote ?