Une série qui se déroule au milieu d’adolescents, dans un lycée anglais et qui parle de sexualité… sur le papier, Sex Education a de quoi effrayer. La création de Netflix pourrait n’être qu’une enfilade de clichés et une œuvre taillée pour brosser les spectateurs dans le sens du poil en leur offrant des lieux-communs faciles. Vous auriez tort de vous arrêter à ces préjugés, parce que le résultat n’a rien à voir. Laurie Nunn parvient à déjouer tous les clichés et en une brève saison de huit épisodes, elle a créé une série de personnages riches, loin des caricatures que l’on pouvait craindre. Sex Education est ainsi une série passionnante et qui parle de sexualité avec une franchise et une justesse rares. Une très belle réussite, qui donne vraiment envie d’en voir plus !
Otis est un lycéen de 16 ans qui mène une vie parfaitement banale en apparence. Il a un meilleur ami, Eric, et il réussit bien à l’école, où il reste dans un coin, incognito. Mais Otis a un problème : non seulement, il n’a jamais couché avec une fille, mais il n’a jamais éjaculé non plus. Le simple fait de toucher son pénis est impossible et il ne peut pas aller beaucoup plus loin. Pour ne rien arranger, sa mère, Jean, est une sexologue qui reçoit tous les jours des patients qui viennent lui parler de leurs problèmes sexuels et qui n’hésite jamais à ouvrir très franchement de ces sujets avec son fils. Tout cela est déjà compliqué à gérer, mais Sex Education se construit autour d’une idée encore plus folle : un jour, une fille de sa classe, Maeve, découvre qu’il a lui-même un don de sexologue. Il sait parler de sexualité, même si le sujet peut le mettre mal à l’aise personnellement, il arrive à communiquer sur le sujet avec ses camarades. Elle lui propose alors de commencer à vendre ses conseils et le duo forme une sorte de cabinet de consultation au noir. C’est une idée assez étonnante et très simple en même temps, mais le scénario tient parfaitement la route et les huit épisodes de la première saison avancent rapidement, sans répétition ni ennui. Comme toutes les bonnes saisons, celle-ci a la bonne idée de concentrer ses efforts sur les personnages, avant toute chose. Leur psychologie est très bien travaillée, qu’il s’agisse des personnages principaux ou des secondaires. Asa Butterfield est excellent dans le rôle d’Otis, il incarne un jeune homme timide et chétif qui parvient à trouver sa place et peut-être même sa vocation avec les conseils autour de la sexualité. Gillian Anderson est parfaite dans celui de la mère, Jean, sexologue talentueuse, mais qui a du mal à gérer sa séparation avec le père d’Otis et qui ne sait pas accepter l’adolescence de son fils. Autour de ce duo, les personnages secondaires sont tous excellents, que ce soit Maeve ou Eric, qui dépassent tous deux le stade de la caricature initiale pour obtenir une épaisseur psychologique crédible. C’est particulièrement notable pour Eric, incarné par Ncuti Gatwa, un gay maniéré, voire efféminé, qui a un parcours beaucoup plus subtil qu’on l’imaginait initialement. L’homosexualité est d’ailleurs très bien représentée dans Sex Education, sans tabou, mais sous de multiples formes, avec une famille homoparentale, un gay refoulé ou encore la famille d’Eric qui est traditionnelle et croyante, mais qui ne le rejette comme on pouvait le penser. L’air de rien, la série de Laurie Nunn parvient souvent à surprendre en évitant de nombreuses facilités et en choisissant au contraire de traiter tous les sujets, même les plus difficiles. Il n’y a pas que l’homosexualité qui est bien gérée, la série parle aussi très justement du harcèlement scolaire, du culte de la performance, de la différence et de multiples autres sujets, tous gérés avec brio.
Franche réussite pour ce Sex Education ! La série de Netflix est réjouissante par sa manière de parler de la sexualité au sens large et de toutes les sexualités. Ce n’est pas parce que ses héros sont des adolescents que le ton est niais pour autant, c’est même tout l’inverse. Laurie Nunn a créé une série juste et précise, mais ce sont surtout ses personnages parfaitement convaincants que l’on retiendra. Les acteurs sont tous excellents, le scénario est très bien écrit et le seul reproche que l’on pourrait faire est sur la longueur. On aimerait que Sex Education dure deux fois plus longtemps et à défaut, on a hâte de découvrir la suite. Vivement la saison 2.
Sex Education, saison 2
(28 janvier 2020)
Après une première saison vraiment réussie, Sex Education pouvait mal tourner, mais ce n’est fort heureusement pas le cas du tout. Au contraire même, Laurie Nun maintient le cap et compose huit nouveaux épisodes qui sont dans la lignée des précédents, sans pour autant tomber dans la répétition. Le cadre n’a pas changé, le ton très libre sur la sexualité non plus, mais ces constantes laissent aux scénaristes toute l’opportunité pour creuser encore les personnages. Le travail réalisé sur la psychologie des lycéens et de leurs parents était déjà admirable sur la première saison, le temps supplémentaire qui leur est accordé avec cette suite permet de franchir un cap. À bien des égards, la saison 2 de Sex Education n’est pas aussi bonne que la précédente, elle est meilleure.
La série de Netflix reprend exactement là où on en était resté, et fait ensuite avancer chaque personnage. Otis découvre enfin la masturbation et n’arrive pas à s’arrêter, jusqu’au moment où il approche enfin sérieusement une fille. Eric trouve un petit ami français tout en pensant à Adam avec qui il a eu une relation surprise à la fin de la première saison. Et même Jean donne sa chance à une vraie relation avec le père d’Ola, une première depuis son amour déçu avec le père d’Otis. Sex Education ne cherche absolument pas à bouleverser son équilibre ou introduire des changements importants dans son univers. Le lycée reste le même, il n’y a que très peu de nouveaux personnages et cette stabilité est peut-être le plus gros point fort de cette deuxième saison. On connaît les personnages et la situation générale, le temps est venu de creuser les psychologies et d’explorer de nouvelles combinaisons. Les scénaristes imaginent des arcs encore plus intéressants pour de nombreux personnages, à l’image de Jackson qui s’éloigne de son image de sportif beau-gosse ultra populaire pour gagner en complexité. Ou alors d’Adam, qui a une trajectoire passionnante et s’avère être un point fort dans la saison. Otis se comporte davantage comme un adolescent lambda, il met en difficulté sa relation jusque-là très stable et adulte avec sa mère et questionne sa place dans la société en tant qu’homme. Sex Education aborde d’ailleurs avec beaucoup de détermination la question de la toxicité masculine, et la série est excellente sur le sujet. L’avant-dernier épisode lui est consacré plus spécialement et il laisse la parole à ces lycéennes qui subissent déjà la violence de certains hommes. C’est brillant et glaçant à la fois, et un superbe exemple de l’écriture impeccable de la série, avec un traitement parfait de tous ces sujets sensibles.
Il n’y a pas que l’écriture qui est impeccable, la réalisation l’est tout autant. On n’y prête pas forcément attention, tant l’histoire et les personnages de Sex Education sont prenants, mais les plans sont composés avec grand soin, la photographie est toujours juste et on sent toute l’attention portée à la forme, autant qu’au fond. Avec cette deuxième saison, Laurie Nunn confirme qu’elle signe une excellente série et on a encore plus envie de voir la suite.
Sex Education, saison 3
(15 octobre 2021)
Pandémie oblige, il a fallu attendre un petit peu pour enfin découvrir la troisième saison de Sex Education, mais l’attente valait la peine. On espérait beaucoup de cette suite et Laurie Nunn ne déçoit pas, en gardant les mêmes personnages ainsi que le même cadre tout en poussant encore plus loin ses idées. Après un spectacle de fin d’année qui a fait scandale par sa sexualité revendiquée, le lycée de Moordale accueille une nouvelle proviseure. Elle commence par faire ami-ami avec les élèves, mais c’est pour mieux imposer des changements et en particulier un retour aux normes conservatrices d’antan. Petit à petit, Hope essaie d’imposer le passé à des élèves épanouis, pas que sur le plan sexuel d’ailleurs : cela commence avec des lignes au milieu des couloirs, cela se termine en humiliation publique, avec un retour des uniformes et une éradication totale de toute identité entre les deux. Cela ne passe pas bien, on s’en doute, et la création de Netflix trouve là une manière nouvelle d’imposer ses personnages plus ouvertes et d’ouvrir sur de nouvelles thématiques.
Comme dans les deux premières saisons, l’arc narratif principal est surtout l’occasion de creuser la psychologie de chaque personnage. Sex Education bénéficie d’une base excellente depuis le départ, elle n’est pas gâchée avec ces huit nouveaux épisodes qui offrent à chaque personnage une belle place. Il n’y en a pas que pour Otis et Maeve ou pour Jean, même si ces trois personnages restent les plus intéressants, avec une mention spéciale pour la psychologue qui devient mère sur le tard dans cette saison. On retiendra toutefois principalement le parcours d’Adam, fascinant depuis le tout début dans la série : la brute qui harcèle tout le monde dans les premiers épisodes se mue peu à peu en un personnage riche et complexe, qui se révèle comme un homosexuel doux et capable d’amour. Connor Swindells est l’une des bonnes surprises de la création Netflix et il mérite sa place plus importante dans cette troisième saison. Les scénaristes en profitent aussi pour enrichir encore leur palette de sujets, en particulier en intégrant deux personnages non binaires à la collection. Cal est un·e lycéen·e qui ne s’identifie pas selon son sexe biologique, ce qui remet en cause toute la nouvelle politique du lycée. De manière plus subtile et intéressante, les scénaristes placent le personnage dans une relation avec Jackson, ouvertement hétérosexuel. Loin d’offrir des réponses toutes faites, la série préfère montrer en quoi la culture dominante cisgenre et hétérosexuelle peut imposer des cases qui compliquent ce genre de relation. Même traitement complexe sur l‘homosexualité au Nigéria, pays d’origine d’Eric qui est au centre d’un épisode quand il s’y rend pour un mariage. Sex Education ne tombe pas dans le piège de la diabolisation, mais ne ferme pas les yeux sur la dure réalité d’un pays légalement homophobe.
Après trois saisons, c’est bien ce qui ressort en premier lieu : Sex Education a toutes les opportunités pour se contenter d’un traitement grossier et caricatural, elle s’en sort toujours et traite ses sujets avec justesse et tout le sérieux nécessaire. Après 24 épisodes, il n’y a plus de doute : cela ne doit rien au hasard et tout au talent de l’équipe qui écrit et réalise. Netflix a d’ores et déjà annoncé qu’une quatrième saison allait rapidement suivre et on sera au rendez-vous !