Sorti quelques mois avant Fenêtre sur cour, Le crime était presque parfait avait défrayé la chronique pour son utilisation de la 3D. En 1954, Alfred Hitchcock cédait lui aussi à cette mode disparue aussi vite qu’elle est apparue et son long-métrage a été tourné avec une caméra capable de reproduire un relief à la projection. Une idée qui n’a pas séduit plus de monde dans les années 1950 qu’aujourd’hui et le film a été essentiellement vu en deux dimensions. Même si, technologie oblige, il est désormais facile de le voir en 3D, on ne retient pas Le crime était presque parfait pour cette technologie, mais plutôt par son intrigue d’une redoutable efficacité. Ce quasi huis clos est adapté d’une pièce de théâtre et Alfred Hitchcock s’entoure du dramaturge pour écrire son scénario, et de deux des acteurs de la pièce pour son casting. Toutes les conditions sont réunies et le résultat est excellent, avec un suspense intense pour savoir comment ce crime quasiment parfait sera finalement déjoué. Une vraie réussite !
L’essentiel de l’intrigue se déroule en intérieur, dans l’appartement des Wendice. Et c’est tant mieux, parce que les rares scènes en extérieur sont assez ratées et la haute-définition n’a certainement pas aidé le film, en mettant en avant les artifices de réalisation. Alfred Hitchcock se contente de plaquer ses comédiens sur des images de fond censées signaler que l’action se déroule à Londres, car c’est bien de cela qu’il s’agit au fond : situer le cadre général, avant de poser l’intrigue à proprement parler. Très vite, Le crime était presque parfait se focalise sur Tony et Margot, un couple marié depuis de longues années, mais qui n’est pas heureux. D’ailleurs, un certain Mark Halliday débarque des États-Unis et rend visite à Margot, ce qui permet au spectateur d’apprendre que les deux entretiennent une relation romantique depuis plusieurs mois. Le mari n’est pas censé être au courant, mais quand il ne se rend pas à la soirée prévue ce soir-là et qu’il accueille une vague connaissance pour lui exposer son plan, on comprend vite qu’il est complètement au parfum. Il sait exactement ce qu’il se passe et il a prévu une vengeance définitive en tuant sa femme et en empochant sa fortune, indispensable au maintien de son mode de vie sans qu’il n’ait à travailler. Mais plutôt que de la tuer lui-même, il a mis au point un ingénieux stratagème, un crime parfait donc, en déguisant le meurtre en un cambriolage qui s’est mal passé. Il a pensé à tout, imaginé l’enquête de la police pour mieux déjouer les questions des enquêteurs et ainsi offrir une version qui ne le mettrait jamais en cause et lui permettrait d’incarner un veuf inconsolable, mais riche. Voilà l’idée de départ, mais le titre en français vend la mèche1 : ce crime parfait ne va pas le rester bien longtemps. Tout l’enjeu, c’est précisément de savoir comment Tony va se faire avoir…
L’histoire originale n’est pas d’Alfred Hitchcock, évidemment, mais il faut reconnaître qu’elle est vraiment brillante et particulièrement bien écrite. Le mari commence par exposer son plan méticuleux, il ne laisse aucune option à Swann, celui qui devra l’exécuter. Il a tout prévu, cela fait plusieurs mois qu’il planifie l’événement qui doit avoir le lendemain soir. Tout est parfait en théorie, chaque événement minutieusement calculé et le plan devrait permettre à Tony de s’en tirer sans le moindre soupçon. Il a tous les alibis nécessaires, toutes les preuves pointent dans la direction opposée, et tout a été minutieusement préparé. Sauf que le jour dit, rien ne passe comme prévu et il doit alors improviser. On n’en dira pas trop, mais disons simplement que Le crime était presque parfait multiplie les fausses pistes. Alfred Hitchcock joue avec les spectateurs, en montrant clairement des éléments qui ne seront pas forcément importants et en omettant des détails qui semblent insignifiants, mais qui seront finalement la preuve nécessaire pour dénoncer le vrai coupable. Même si le réalisateur n’a pas écrit l’histoire, on sent qu’il la maîtrise parfaitement et que tout son attirail de metteur en scène est en place pour lui offrir un écrin parfait. La caméra est toujours au bon endroit, les jeux de lumière mettent en avant ou masquent des éléments du décor, les mouvements des acteurs sont tous logiques et fluides. On est souvent assez proche du théâtre filmé, avec même un entracte au milieu du film, mais ce n’est pas une critique. Bien au contraire, ce format colle parfaitement au sujet et il participe même à l’élaboration du suspense. C’est un petit peu le même principe que dans Fenêtre sur cour d’ailleurs : la tension est accentuée en restant quasiment tout le temps dans les murs de ce petit appartement. C’était un crime presque parfait ne va pas aussi loin, ce n’est pas un vrai huis clos, mais on en est proche et c’est extrêmement prenant. Comme au théâtre, tout ce dispositif tomberait à l’eau sans des acteurs à la hauteur et le cinéaste est bien tombé sur ce point. Grace Kelly est très bien dans le rôle de la victime, mais on retient surtout Ray Milland, impeccable dans celui de Tony, et les deux acteurs qui ont repris leur rôle du théâtre : John Williams pour l’inspecteur Hubbard et Anthony Dawson pour Swann. Ils sont logiquement à l’aise avec ces personnages qu’ils connaissaient déjà bien au moment du tournage, et leur interprétation ne perd pas en passant au cinéma.
Le crime était presque parfait n’était pas qu’une expérimentation pour la 3D, même si Alfred Hitchcock a tourné certaines scènes pour le relief. Au-delà de l’excuse technologique, ce film proche d’un huis clos ressemble souvent à du théâtre filmé. Ce n’est pas un problème toutefois, et c’est même un excellent thriller, plein de suspense jusqu’à la dernière minute. Le casting est impeccable, la mise en scène efficace et le long-métrage est intense et prenant. Le crime était presque parfait se (re)voit avec toujours autant de plaisir !
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- Alors que le titre original, Dial M for Murder, est nettement plus discret sur ce point… ↩