Gilles Lellouche s’est surtout fait connaître devant la caméra, mais l’acteur a aussi eu l’occasion de passer à la réalisation à plusieurs reprises. Avec Le Grand Bain, il le fait toutefois seul pour la première fois, et qui plus est avec une histoire qu’il a imaginée et écrite lui-même. Un sacré défi, surtout quand on voit qu’il s’agit d’une comédie : comment ne pas penser au défilé de comédies françaises interchangeables, sans aucun intérêt ? Mais le cinéaste a pris son temps pour bien faire les choses. Plusieurs années de réflexion et d’écriture, un grand soin apporté aux personnages et un sujet original, tenu jusqu’au bout. Le Grand Bain est une très belle réussite, une comédie dramatique d’une justesse rare, un vrai plaisir !
Dans ce film choral, il n’y a pas vraiment de héros, même si on suit d’abord les pas de Bertrand — Matthieu Amalric, impeccable avec cet air hébété qui convient parfaitement dans ce rôle —, chômeur depuis qu’une grande dépression s’est emparée de lui, deux ans auparavant. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé, cela reste d’ailleurs un mystère, ce qui est une idée bien judicieuse de la part du scénario. Tous les personnages en fait gardent un peu de mystère, on voit leur vie actuelle, pleine de difficultés et d’échecs, mais on ne découvre jamais totalement leur passé. Au mieux, Gilles Lellouche en donne des bribes, une séquence traumatisante racontée par l’un de ses personnages, un souvenir d’enfance, le passé qui revient pour un autre. L’essentiel, c’est que tous les personnages du long-métrage ne sont pas dans la norme sociale. Ils ont tous eu un problème, professionnel ou personnel, souvent les deux, et ils se retrouvent en marge. Certains sont tombés dans la dépression, d’autres dans l’alcool, ou alors dans un monde parallèle loin de la réalité. Et ils se retrouvent tous à apprendre la natation synchronisée dans un groupe du soir. Sans vraie raison, sans sens profond, mais parce qu’une opportunité s’est présentée avec un coach qui cherchait une équipe à entraîner, et puis parce qu’ils sont tous autant dans l’embarras et tous prêts à s’écouter les uns les autres, sans jugement. Le Grand Bain a été écrit en pensant aux réunions des alcooliques anonymes et il y a en effet de ça, plusieurs scènes de vestiaires après l’entraînement ou l’un des hommes parle et raconte ses malheurs. Les autres écoutent sans juger, c’est la règle et même s’ils ne sont pas vraiment amis, ils apprennent à se connaître petit à petit. Et nous avec : contrairement à beaucoup de films chorale qui ne sont qu’une excuse pour mettre en avant un ou deux personnages au détriment des autres, celui de Gilles Lellouche accorde autant de place pratiquement à tous1. L’équilibre est excellent et il faut saluer le rôle donné à chaque acteur et actrice.
L’autre caractéristique qui frappe dans Le Grand Bain, c’est la justesse des émotions et la manière dont le scénario évite quasiment toutes les facilités et caricatures du genre. Les sujets choisis par Gilles Lellouche ne sont pas faciles : dépression, faillite professionnelle, famille qui se déchire, rêves piétinés par la réalité… Dans bon nombre de films, ces sujets auraient été pris à la légère, tournés en dérision au dépend des personnages, mais pas ici. Le cinéaste fait le choix de ne pas juger ses personnages et au contraire, d’inclure les jugements de la part des tiers. En particulier, le beau-frère de Bertrand, qui le juge constamment de bon à rien qui ne fait aucun effort et qui se permet en plus de faire des remarques homophobes sur sa nouvelle passion. Face à cela, le cinéaste lance Marina Foïs, qui n’a qu’un petit rôle secondaire, mais un rôle intense où elle le remet proprement à sa place. En dégageant ainsi ces clichés faciles, Le Grand Bain peut se concentrer sur ce qui est nettement plus intéressant et riche, les personnages et leurs parcours. Tout n’est pas rose, le film ne tombe pas non plus dans le piège de la comédie où tout se déroule comme sur des roulettes et tout va pour le mieux. Il ne fait guère de doute dès le départ que ce n’est pas une horrible tragédie non plus, et la fin force peut-être légèrement le bouchon dans ce domaine, mais le côté Feel Good Movie revendiqué est très bien géré. Les obstacles ne sont pas que des excuses pour faire avancer l’intrigue, ils sont bien réels et bien considérés par le scénario. Le parcours de la coach, interprétée par Virginie Efira, est particulièrement intéressant, surtout qu’elle reste marquée par ce qui lui arrive jusqu’à la fin, ce qui n’était pas évident. Tous les acteurs sont très bien d’ailleurs, il faut le souligner. Pas de surprise pour Guillaume Canet qui a déjà eu l’occasion maintes fois de prouver son talent, tout comme Benoît Poelvoorde dans un autre registre. On retiendra surtout les interprétations touchantes et précises de Jean-Hugues Anglade et de Philippe Katerine, ils n’en font jamais trop et touchent brillamment par leur interprétation.
Le Grand Bain avait de quoi faire peur, on pouvait envisager une énième comédie facile et sans intérêt, aussi vite vue qu’oubliée. Gilles Lellouche n’a pas déçu toutefois, avec une réalisation ambitieuse, à la fois par son ampleur — le film dure plus de deux heures — et par le choix de ses sujets pas évidents. Une ambition qui paye : le film est original et très plaisant, un long-métrage qui fait du bien sans éviter les moments difficiles, une comédie dramatique qui dose remarquablement bien les moments drôles et dramatiques. En bref, une réussite qui mérite bien une séance.
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- Pratiquement, parce que le personnage d’Avanish est plus discret. Il faut dire que Thamilchelvan Balasingham, l’acteur sri-lankais, ne parle jamais français dans le film, avec une idée bien trouvée : tous les autres personnages le comprennent, sans aucune autre explication. Malgré tout, dans ce film choral par ailleurs parfaitement équilibré, c’est un petit peu dommage. ↩