Vice, Adam McKay

Après le très réussi The Big Short : Le Casse du siècle, Adam McKay s’attaque à nouveau à l’ère George W. Bush avec un biopic du vice-président Dick Cheney. Dans les deux cas, le réalisateur assume un angle très partisan : Vice ne cherche pas à raconter la vie d’un homme de manière objective, mais bien à dénoncer celui qui a lancé les États-Unis dans une guerre irakienne qui n’avait aucun lieu d’être. C’est un portrait à charge, documenté certes, mais qui n’hésite pas à combler les trous s’il y en a et qui se concentre volontairement sur les méfaits du personnage. Le cinéaste avait déjà fait la même chose avec la crise des subprimes et il est difficile de lui reprocher ce choix parfaitement assumé. Si vous l’acceptez, Vice est un long-métrage intense et une démonstration implacable qui mérite d’être vue.

Vice s’intéresse avant tout à la vice-présidence de George W. Bush, de 2001 à 2009. Pendant huit ans, ce président jeune et immature a été secondé par son exact opposé, un politicien discret et tout puissant qui a eu le champ libre pour imposer sa politique et sa méthode. Pour comprendre le parcours de Dick Cheney, Adam McKay revient toutefois en arrière, en particulier à la fin des années 1960 quand il commence sa carrière politique. Ce jeune homme d’à peine trente ans commence comme assistant de Donald Rumsfeld et il se fait discret, mais très efficace, au point de monter très rapidement dans la hiérarchie du camp républicain. Dès 1975, il est nommé chef de cabinet de la Maison-Blanche, à l’époque dirigée par Gerald Ford, une ascension au sommet… interrompue rapidement part la défaite du Président au profit du démocrate Jimmy Carter. Sa carrière aurait pu s’arrêter là, mais le cinéaste montre dès le départ que Dick Cheney est poussé par sa femme, Lynne, qui a de l’ambition pour les deux. Vice n’hésite pas à combler les zones d’ombre en lui faisant dire à son mari qu’elle l’a épousée uniquement pour toucher le pouvoir qui était totalement inaccessible à une femme à cette époque. C’est peut-être un peu facile, mais il arrive si fréquemment qu’une femme se cache derrière un homme politique que l’on y croit volontiers. Quoi qu’il en soit, cette première mise à l’écart ne signe pas l’arrêt de la vie politique de Dick Cheney, qui rentre dans son Wyoming profond pour faire campagne en tant que représentant. Quand il doit être hospitalisé pour sa première crise cardiaque, cela n’arrête pas davantage la campagne, reprise par sa femme qui n’hésite pas à la tirer vers un conservatisme qui frise avec le populisme et la désinformation. Dès cette époque, Adam McKay ne ménage pas ses effets et le réalisateur tire fort sur ce couple et les décisions improbables du parlementaire, qui agit systématiquement dans le meilleur intérêt de la NRA et des grands industriels, pétroliers en tête. Mais naturellement, ce n’est rien en comparaison de ce qui va suivre.

Après avoir été nommé par George Bush, le père, en tant que secrétaire à la Défense, Dick Cheney se retire à nouveau de la vie politique pour mener une carrière fructueuse à la tête de Halliburton, une multinationale qui offre des services aux géants du pétrole. L’histoire, à nouveau, aurait pu s’arrêter là, mais George W. Bush va se présenter à la présidentielle après son père et il demande à ce vieux routier de la politique d’être son colistier. Dick Cheney refuse d’abord ce poste jugé décoratif, avant de se raviser : il voit en ce jeune président immature et qui essaie surtout de prouver à son père qu’il peut le faire une opportunité. L’opportunité de gouverner dans l’ombre et de faire ce qu’il veut des États-Unis. En particulier, il cherche à prendre une revanche après l’échec de la première guerre en Irak. Vice en fait une obsession personnelle du vice-président, et c’est peut-être un peu exagéré, mais Adam McKay a de quoi appuyer son propos. En particulier, le découpage de l’Irak entre les compagnies pétrolières début 2001 est bien la preuve que c’est une idée qui flottait dans la Maison-Blanche, avant même le 11 Septembre. Dès lors, cet événement est présenté à juste titre comme étant l’opportunité attendue par Dick Cheney pour déclencher son implacable quête de guerre en Irak. Le cinéaste évoque les étapes que l’on connaît, la traque d’al-Qaïda en Afghanistan, les excuses bidons pour étendre le conflit à l’Irak voisin et le début d’une guerre qui a fait beaucoup plus de mal que de bien. La démonstration du lien entre la guerre en Irak et la naissance de l’État Islamique est tout particulièrement implacable et puissante. On retient aussi les contrats à l’amiable passés entre l’armée américaine et Halliburton, ou encore l’utilisation systématique du marketing pour vendre les décisions du gouvernement. C’est une idée aussi brillante que terrifiante, qui a permis à Dick Cheney d’enterrer le réchauffement climatique ou encore de supprimer des impôts pour les plus riches sans se mettre à dos la population. Vice fait un excellent travail pour décortiquer tout ce mécanisme qui est devenu courant aujourd’hui. Naturellement, on pourrait reprocher au cinéaste et à son film des choix partisans qui déforment peut-être la réalité ici ou là. Mais en même temps, ce n’est pas caché derrière une objectivité de circonstance, et la démonstration est toujours brillante.

Adam McKay n’hésite pas à frapper et à frapper fort. Nul doute que Dick Cheney lui-même1 et ses partisans trouveront à redire, mais c’est aussi cette amertume du réalisateur qui fait le succès de Vice. Par certains aspects, on pense au travail de Michael Moore, mais dans la fiction plutôt que le documentaire, même si la reconstitution historique est souvent bluffante. Comme toujours, Christian Bale a tout donné : l’acteur a pris 20 kg et s’est rasé les cheveux pour se rapprocher du personnage, un impressionnant maquillage a fait le reste. C’est bien simple, il est souvent méconnaissable, totalement effacé derrière un Dick Cheney en mode mafieux. À ses côtés, Steve Carrel est dans un registre différent pour incarner Donald Rumsfeld, et Sam Rockwell compose un George W Bush étonnamment convaincant. La reconstitution est historique et Vice se base autant que possible sur la réalité, mais Adam McKay ne vise pas tant la rigueur de l’historien que la force de l’éditorialiste. Et il le fait très bien.


  1. Malgré ses multiples crises cardiaques, Dick Cheney est toujours vivant. C’est d’ailleurs l’une des bonnes idées de Vice, utiliser un narrateur qui est directement impliqué dans cette survie, avec un effet de surprise particulièrement bien trouvé que l’on ne dévoilera pas.