Faute d’amour construit son récit autour d’une famille qui explose, faute d’amour justement. Une relation de jeunesse qui a conduit à une grossesse, un mariage précipité et douze ans après, un constat d’échec et un divorce en vue. Rien de très original, mais Andreï Zviaguintsev se sert de ce point de départ banal pour signer un récit plein de tensions et qui se mue vite en critique acerbe de la société russe contemporaine. Froid et brillant, à voir.
Aliocha n’a quasiment pas droit à la parole et sur les plus de deux heures que dure Faute d’amour, il n’est quasiment jamais présent. La caméra le suit d’abord, alors qu’il sort de l’école et rentre chez lui, mais le garçon de douze ans disparaît vite, alors que l’intrigue se concentre sur ses deux parents. Ce choix n’est pas anodin : pour Genia et Boris, ce gamin est une source d’ennuis et guère plus. Alors qu’ils sont en train de vendre leur appartement et de préparer leur divorce, le père et la mère essaient de s’en débarrasser en le refilant à l’autre. Ou bien peut-être que la mère de Genia pourrait accueillir son petit-fils ? La discussion est d’une froideur absolue et la mère conclut en lançant la piste de l’internat… l’abandon pur et simple n’est pas loin. C’est cruel, et le pauvre Aliocha entend tout alors qu’il se cache dans un coin, en pleurant. Face à un milieu aussi hostile, l’enfant ne voit qu’une option et le lendemain, il ne va pas à l’école et il fuit loin de cette famille qui le déteste. Ses parents, tout occupés avec leur nouveau conjoint respectif, ne s’aperçoivent de rien pendant plus d’une journée et ne signalent la disparition que le surlendemain. Pour ne rien arranger, la police indique clairement aux parents qu’elle ne fera rien pour eux, ils n’ont pas les moyens et ne s’embarrassent même pas d’une fugue. Brutalement, Faute d’amour se transforme en un film très politique, dénonçant un régime qui a complètement abandonné les prérogatives habituelles de l’État. Les personnages sont manifestement aisés, en tout cas ils mènent une vie confortable, mais s’ils veulent retrouver leur fils, ils doivent compter sur la bienveillance de ce groupe de volontaires qui se met en quête d’Aliocha.
L’aspect politique n’est pas évident dans un premier temps, mais il est central dans Faute d’amour. Andreï Zviaguintsev a manifestement beaucoup à dire sur le régime de Poutine et la Russie moderne. Ce n’est jamais abordé explicitement et le réalisateur n’essaie pas de passer un message didactique, il pose simplement un constat d’échec pour cette société qui a remplacé le communisme par un capitalisme individualiste extrême. En tout cas, le gouvernement ne fait rien pour aider les citoyens et ces derniers n’ont pas d’autres choix que de s’organiser pour se débrouiller seuls. Le groupe de volontaires qui cherchent des enfants disparus existe vraiment et il permet de retrouver près d’un enfant sur dix. C’est un vrai besoin, mais le film ne célèbre pas tant son existence, qu’il pointe du doigt les manquements étatiques. La critique ne s’arrête pas là et le scénario pointe aussi du doigt l’hypocrisie d’une société au mode de vie américanisé, mais qui peut aussi tomber dans l’obscurantisme religieux. À l’image de l’entreprise de Boris, dirigée par un orthodoxe rigoureux qui n’emploie que des gens mariés et vire les divorcés. Sans excuser le comportement des parents, Faute d’amour permet de comprendre un petit peu mieux leurs décisions. S’ils se sont mariés sans s’aimer, c’est aussi pour répondre aux pressions sociales. Sauver les apparences est essentiel pour ce couple, qui s’inquiète plus de la réaction du patron et des services sociaux, que du bien être de leur enfant. Pour autant, Andreï Zviaguintsev n’en fait pas des monstres et on voit bien qu’ils progressent de plus en plus, alors que le temps passe et qu’Aliocha ne revient pas. Il faut saluer le jeu des deux acteurs, Mariana Spivak et Alexeï Rozon, ils sont impeccables dans le rôle.
Andreï Zviaguintsev a parfois tendance à tomber dans un esthétisme facile, à l’image de cette introduction composée uniquement de plans sur la forêt hivernale vide et sans vie. Faute d’amour évite toutefois ce travers majoritairement par la suite et l’histoire est suffisamment prenante pour ne pas s’arrêter aux plans parfois gratuitement esthétiques. Malgré ses deux heures au compteur, le long-métrage est bien mené et on ne s’ennuie jamais. Une vraie réussite, vous auriez tort de passer à côté.