En règle générale, il est préférable de ne pas juger une série à son point de départ, mais cela a rarement été aussi vrai que pour The Boys. La dernière série originale d’Amazon Prime Video est une adaptation de comics qui se déroule à New-York et qui imagine un groupe de super-héros. À ce stade, le sentiment de voir une variante médiocre des univers créés par Marvel ou DC Comics est tenace et on pourrait être tenté d’interrompre toute envie de regarder la première saison. Pourtant, la série créée par Eric Kripke ne ressemble absolument pas à une autre adaptation de super-héros. Et pour cause, The Boys adopte un point de vue radicalement différent, où les êtres de pouvoir ne font pas le bien pour sauver le monde, mais où ils sont les ennemis à abattre. Une excellente idée, pour une première saison prometteuse qui mérite le détour.
Ils sont sept, sept super-héros aux pouvoirs variés qui travaillent à rendre les États-Unis (et donc le monde) plus sûrs. Ça, c’est ce que vend Vought, l’entreprise qui gère ces héros au quotidien et profite des énormes retombées financières qui sont liées. Adaptations au cinéma, objets dérivés et surtout un juteux contrat en préparation avec l’armée américaine pour « louer » les héros sur le terrain. The Boys s’éloigne très vite l’image idyllique du super-héros patriote attaché à faire le bien de ses citoyens. Dès le premier épisode, Eric Kripke casse ce cliché de la manière la plus violente qui soit, en explosant — littéralement — la copine du personnage principal, Hughie. Ils sont dans la rue à discuter tranquillement quand A-Train, l’un des sept héros de Vought et l’homme le plus rapide du monde, passe un peu trop près de la fille et l’explose dans une gerbe de sang et de chairs. C’est brutal, gore et surtout inattendu si l’on ne connaît pas le comics original. Un bel effet de surprise qui agit aussi comme un manifeste, pour cette série résolument plus sombre et qui n’a pas peur du gore et même parfois de la nudité. On est loin du traitement poli des Marvel, ici le sang peut couler à flots et la mise en scène ne manque pas de le souligner. C’est violent, mais pas gratuit et The Boys est une série éminemment politique et critique. Le scénario attaque méthodiquement tous les piliers de l’American Way of Life, du capitalisme à outrance à la religion, en passant par le drapeau, adopté ici par le super-héros le plus psychopathe qui soit. C’est très fort et la série n’y va pas de main morte, en montrant la corruption des élites politiques et religieuses et surtout le cynisme absolu de cette entreprise prête à tout pour s’imposer dans la société, quitte à créer des héros et des ennemis.
Dans cette critique au vitriol des États-Unis, la première saison construit aussi une série de personnages plus complexes que la moyenne des adaptations de comics. Deux groupes sont constitués : d’un côté, les sept de Vought, de l’autre les « Boys », un regroupement d’hommes aux profils variés, mais rassemblés par le désir de dénoncer la supercherie des super-héros. Du côté des sept, la série débute avec l’arrivée de Stella dans le groupe, une jeune héroïne naïve qui pense sincèrement qu’elle va pouvoir faire le bien et aider les gens. Comme avec la copine de Hughie, la désillusion est rapide, puisque l’un des autres super-héros la force d’emblée à lui faire une fellation pour rester dans le groupe. Ce personnage va de déception en déception tout au long de la saison et Erin Moriarty parvient à bien rendre la naïveté de son personnage et surtout son évolution au fil des épisodes. À ses côtés, le personnage de Protecteur est fascinant et cette icône américaine qui dévoile petit à petit sa psychopathie est une sacrée expérience, qu’Antony Starr incarne parfaitement. Dans le camp d’en face, Jack Quaid compose un Hughie impeccable, tout en naïveté façon Stella et avec en même temps une noirceur insoupçonnée au départ qui s’installe. Karl Urban peine à convaincre comme britannique — son accent australien est difficile à effacer —, mais il est très bien dans le rôle de Billy Butcher. The Boys cultive sa différence jusqu’au bout et travaille sur une ambiance particulière plutôt que de multiplier les scènes d’action, et l’ensemble est très réussi. La première saison, composée de huit épisodes seulement, pose de bonnes bases et on sait qu’Amazon a déjà renouvelé la série pour une deuxième saison que l’on a hâte de découvrir. En espérant que le bon esprit des débuts soit maintenu et que la série ne retombe pas dans la facilité, mais cette introduction va très clairement dans le bon sens.
Cette première saison parvient à renouveler l’idée bien trop connue du super-héros avec une relecture au vitriol des clichés de la catégorie. En inversant les rôles, The Boys trouve une voie originale et réjouissante, où capitalisme, religion et patriotisme sont réunis pour mieux être dénoncés. En attendant de savoir si la série créée par Eric Kripke a le potentiel pour devenir excellente, ces huit premiers épisodes méritent bien votre attention. Vivement la suite !
The Boys, saison 2
(26 octobre 2020)
Sous des dehors d’énième série de superhéros sans idée nouvelle, The Boys a imposé son originalité avec une première saison violente et surtout très politique et critique. Une noirceur que cette nouvelle saison ne vient pas contredire, au contraire même. La série portée par Prime Video va encore plus loin dans cette direction, tout en élargissant son univers avec de nouveaux personnages, à la fois dans le camp des « super » et dans ses opposants. Eric Kripke en profite pour régler ses comptes avec les États-Unis et tous ses travers, le suprémacisme blanc en tête, le cynisme du capitalisme forcené pas loin derrière. Malgré quelques dialogues un peu lents ici ou là, une excellente saison à nouveau.
Que se passe-t-il quand des superhéros quasiment indestructibles commencent à œuvrer pour leur propre bien, au détriment du public ? Comment contrôle-t-on des êtres que rien ne semble atteindre, quand ils commencent à faire plus de mal que de bien ? Ces questions étaient déjà centrales dans la première saison, elles le deviennent encore plus dans cette suite qui se concentre sur la lutte des « Boys » et surtout de plusieurs politiques contre Vought et ses superhéros. On sait depuis la fin de la saison précédente que c’est le Protecteur lui-même qui a diffusé le produit V pour créer des « super-terroristes ». Cette stratégie dangereuse devient la base de la politique de Vought, qui espère bien vendre des doses de son produit à l’armée américaine pour contrer cette nouvelle menace. La stratégie de la peur fonctionne à plein et elle est bien trop crédible, hélas, tant on a l’impression de revoir ce qui est pratiqué dans nos propres sociétés. La menace d’un terrorisme qui serait omniprésent soulève les foules et ajoutez à cela une bonne dose de racisme avec une vieille nazie qui débarque dans l’équation, et vous obtenez un cocktail plus explosif que jamais. The Boys va ainsi encore plus loin, sans perdre de vue sa noirceur ni même un côté gore très marqué, avec quelques séquences d’anthologie dans ces huit nouveaux épisodes. Il y a bien quelques faux-pas, des épisodes où l’intrigue se traine un petit peu et aussi quelques incohérences qui découlent forcément de ces héros si puissants que rien ne devrait pouvoir les arrêter. Cela étant, les scénaristes maintiennent l’esprit de la première saison et l’étendent de façon réaliste, en donnant envie d’en découvrir plus. Ce qui tombe bien, une troisième saison se prépare.
The Boys sort des sentiers battus et dénonce l’Amérique en utilisant sa figure favorite, celle du superhéros. À cet égard, c’est bien le Protecteur qui est la plus grande réussite de la série et à nouveau de cette saison. Antony Starr est encore une fois spectaculaire dans ce rôle de psychopathe et l’acteur parvient très bien à générer une peur panique avec ce personnage positif dans tant d’autres univers et contextes. On n’en dira pas autant de tous les personnages qui l’entourent1, mais le reste est suffisamment bon pour que l’on passe outre. The Boys confirme avec ces huit épisodes sa place à part et on a hâte de voir ce que les scénaristes nous réservent ensuite.
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- Et particulièrement pas du « Français », que l’acteur Tomer Kapon incarne avec un très mauvais accent et en enchaînant les clichés de manière assez affligeante. ↩