C’est un pur hasard du calendrier que Rocketman soit sorti quelques mois seulement après Bohemian Rhapsody. Les deux projets sont arrivés étonnamment tard étant donnée la popularité de leurs deux sujets. Un biopic sur Freddy Mercury était aussi attendu que celui sur Elton John et les deux films sont en préparation depuis très longtemps. Près de vingt ans même, pour l’histoire de l’un des chanteurs de pop les plus célèbres du XXe siècle, vingt ans avec plusieurs acteurs et réalisateurs associés au projet. Lancée par Elton John lui-même, produit par l’entreprise de son mari, Rocketman est presque une affaire familiale, ce qui laissait craindre le pire. Mais même si la réalité historique a été souvent déformée, le long-métrage ne passe pas à côté de son sujet et il n’évite aucun sujet sensible. Alcool, drogue et homosexualité sont bien là et Dexter Flechter parvient à offrir une image plus contrastée que prévu de la star. Cela reste un biopic assez conventionnel et facile par certains aspects, mais le résultat est plus sincère et intéressant qu’on ne pouvait le penser.
Rocketman commence dans un centre de désintoxication, où Elton John reconnaît qu’il est alcoolique, cocaïnomane et sex-addict. Une manière peut-être d’éloigner d’emblée toute tentation de faire du personnage principal une star immaculée et de mettre en avant ses zones d’ombres dès le départ. Dexter Flechter utilise ce procédé assez classique pour remonter ensuite le temps et revenir à l’enfance compliquée du jeune Reginald, qui a toujours souffert de l’absence de son père. Le biopic est dans l’ensemble chronologique, même si la précision historique n’est clairement pas l’un de ses objectifs prioritaires. On suit les premiers pas du prodige à l’école royale de musique de Londres, puis alors qu’il commence à faire des concerts, accompagnant des groupes de blues américains, et bientôt composant sa propre musique avec son parolier et ami de toujours, Bernie Taupin. Comme dans tous les biopics, tout s’enchaîne logiquement et avec une fluidité qui est inconcevable en réalité. Le scénario n’hésite pas à piocher des chansons écrites bien après les faits pour illustrer une séquence, et de nombreuses petites anecdotes ou difficultés ont été effacées pour se concentrer sur la narration. Qu’importe après tout, et l’acteur principal indiquait régulièrement en interview qu’il s’agissait davantage d’une comédie musicale fantaisiste qu’un biopic en bonne et due forme. Dans ces conditions, la réalité précise n’importe pas forcément et le long-métrage parvient assez bien à créer un univers presque surréaliste. Les costumes de plus en plus extravagants de la star participent à cet état d’esprit, et la démultiplication des paires de lunettes participe à ce sentiment de confusion. Rocketman part dans tous les sens, efface toute idée de progression historique et entraîne ses spectateurs dans un tourbillon plein de couleurs et d’excès. À cet égard, le contrat est réussi et il faut saluer cet effort pour s’éloigner des biopics les plus conventionnels.
En même temps, Dexter Flechter conserve tous les passages obligés du genre et son long-métrage reste indéniablement un biopic. Le grain de folie que l’on évoquait plus tôt est bien là, sans pour autant effacer la progression de la vie d’un artiste des années 1970 aux années 1990, et même son enfance compliquée. Rocketman enchaîne quelques clichés faciles sur le rôle des parents, le père absent incapable de montrer son amour, la mère qui se fiche totalement de son enfant et de ses envies. L’isolement de la star lié au succès est évidemment traité, de même que sa vie faite de grandes maisons californiennes ou londoniennes et d’excès constant. Tout cela est assez prévisible et en même temps sans doute nécessaire. Mieux, le film parvient très bien à montrer le côté sombre de celui qui a été l’une des plus grandes stars du siècle, mais en plus l’une des stars les plus flamboyantes. L’idée que les costumes chatoyants masquaient une réalité bien plus sombre n’a rien de très original, elle aussi, mais le scénario ne se contente pas de le mentionner, il le montre avec une grande efficacité. Pour composer ce personnages toujours dans les extrêmes sans perdre en crédibilité, il fallait un acteur à la hauteur et Taron Egerton n’est pas passé à côté du rôle. Même s’il ne ressemble pas forcément à la star, surtout sur les dernières années, il l’incarne avec une belle intensité et il est parfaitement crédible. C’est lui qui chante toutes les chansons et cela s’entend et se voit. Il est parfaitement à son aise avec ce rôle et la réussite du projet lui doit beaucoup. On apprécie aussi que, contrairement à Bohemian Rhapsody, l’homosexualité du chanteur soit traitée comme il se doit. Le film reste globalement prude, mais pour Hollywood, il est déjà bien plus suggestif que la moyenne et c’est agréable de voir que le scénario n’essaie pas de magouiller la réalité en masquant ce qui a pu se passer. Quelle tristesse de penser qu’une simple scène de sexe gay où l’on devine à peine un quart de fesse soit considéré comme un acte courageux, mais c’est le cas. À une époque où l’on pense souvent plus à la sensibilité d’un pays (la Chine, il faut bien le dire) qu’à la réalité d’un personnage, c’est un choix qu’il faut, hélas, saluer.
Le choix de proposer une comédie musicale plutôt qu’un biopic traditionnel offre à Rocketman l’opportunité de sortir un petit peu du lot. C’est indéniable, et en même temps, le film de Dexter Flechter reste plus proche de l’histoire de la vie très classique telle que Hollywood adore la raconter, que du film musical et fantastique que l’on nous promettait. Les fans du chanteur apprécieront de redécouvrir ses tubes, les autres découvriront une vie de succès immense autant que de solitude et de tristesse. Dans l’ensemble, Rocketman reste une œuvre fort divertissante et le long-métrage se regarde avec plaisir.