Dans leur regard reconstitue l’histoire absolument incroyable de l’affaire de la joggeuse de Central Park. On est en 1989, une femme est retrouvée dans le parc, violée, battue et entre la vie et la mort. Non loin de là, une bande de jeunes afro-américains bruyants et tapageurs est arrêtée par la police. Quand le crime est découvert, la police pense qu’ils sont les coupables et alors même que l’enquête devrait leur donner toutes les raisons que ce n’est pas le cas, ils persistent avec cette idée en tête et font tout pour les accuser. Ce n’est que treize ans plus tard et alors que cinq jeunes ont été accusés à tort pour les faits que le véritable coupable avoue et que leur innocence est enfin reconnue. Ava DuVernay s’empare de ce fait divers pour dresser un réquisitoire en règle contre le racisme américain et tout particulièrement contre Donald Trump. Dans leur regard fait froid dans le dos, mais ne la ratez sous aucun prétexte.
Quatre épisodes pour raconter une telle histoire, c’est peu et la série ne perd pas de temps. Le premier épisode est consacré aux arrestations de la police et aux aveux extorqués sous la pression pour ces cinq jeunes qui avaient entre 14 et 16 ans et dont tous les droits ont été bafoués. Dans leur regard ne prend pas des gants face à la police new-yorkaise et son racisme tellement ancré qu’elle n’envisage pas une seconde qu’elle puisse avoir tort. Une femme blanche a été violée dans Central Park, il y avait des jeunes noirs turbulents pas loin, ils sont forcément coupables. Et tant pis s’ils sont à peine sortis de l’enfance et qu’ils découvrent la sexualité par la bouche des policiers bien décidés à obtenir des confessions de leur part. Ava DuVernay décortique bien les mécanismes de pression mis en place et ces enfants sans avocat et bien souvent sans même leurs parents à côté, signent des confessions fausses et mentent face caméra pour s’en sortir. On leur promet une sortie rapide s’ils reconnaissent leur action dans le viol, ils terminent tous dans un procès qui occupe le deuxième épisode. Les avocats sont assez confiants, il n’y a aucune preuve contre les jeunes et seuls leurs témoignages les condamnent. Sauf que l’opinion publique est vent debout contre les « Central Park Five » comme les médias les ont surnommés. Donald Trump, qui n’était alors qu’un vague homme d’affaire très riche et déjà trop médiatisé, achète une page de publicité pour réclamer le retour de la peine de mort contre ces jeunes. La série décrit bien comment un jeune de 14/15 ans qui n’a rien fait pourrait réagir face à une telle haine, mais le plus effrayant, c’est bien le racisme intégré dès leur plus jeune âge. Ils n’osent même pas protester et les parents partent du principe que, de toute manière, la police a raison et que l’on ne peut strictement rien faire. Dans leur regard décrit ce monde terrifiant où une institution censée protéger les citoyens choisit un coupable en se basant exclusivement sur sa couleur de peau, et tord la réalité pour les accuser en dépit des faits.
Quand on commence à regarder la série, on pourrait s’attendre à ce qu’elle se concentre essentiellement sur l’enquête préliminaire et le procès extrêmement médiatisé à l’époque. Mais tout cela est terminé à la fin du deuxième épisode, et on n’en est qu’à la moitié de l’ensemble. Dans leur regard s’intéresse aux parcours des cinq jeunes pendant et surtout après leur procès. Les deux derniers épisodes se consacrent ainsi à leur vie en prison et après être sortis. Pour quatre d’entre eux, la sortie se fait à la fin des années 1990 ou au début des années 2000, une dizaine d’années après leur procès. Ils ont beau avoir été envoyé dans une prison pour mineurs à la base, ils ressortent tous brisés et sans aucun avenir. Ana DuVernay ne passe pas à côté de son sujet, avec une attaque en règle contre le système des conditionnelles, où les ex-prisonniers doivent se conformer à tant de règles contradictoires que leur retour derrière les barreaux est quasiment assuré. C’est le cas pour tous les prisonniers, mais c’est encore pire pour ces jeunes à la vie brisée sans raison. Dans leur regard termine avec le cas le pire de tous, celui de Korey Wise qui avait le malheur d’avoir 16 ans au moment des faits, et qui a donc été traité comme un adulte. Le dernier épisode lui est entièrement dédié et il est terrible à regarder : lui qui n’était pas sur la liste de suspects de la police, mais qui s’est retrouvé impliqué parce qu’il accompagnait un ami, a reconnu face caméra avoir violé la victime. C’est lui qui a eu la condamnation la plus lourde et il s’est retrouvé dans une prison de sécurité maximale, totalement démuni face à la violence quotidienne des lieux. Le parcours de jeune broyé par le système carcéral sans aucune raison puisqu’il est innocent est vraiment déchirant à suivre et il faut saluer le travail de l’acteur qui l’incarne. Tout le casting est excellent, mais on retiendra la prestation de Jharrel Jerome, vraiment parfait pour incarner Korey Wise.
Ana DuVernay n’a pas seulement reconstitué une bourde policière de la fin des années 1980. Dans leur regard est bien plus que cela, c’est une œuvre politique qui parle des États-Unis d’aujourd’hui. Le racisme n’a pas abandonné le pays et le regard que portent les populations blanches sur celles de couleur n’a pas fondamentalement changé. L’injustice sociale, le traitement inégal et les préjugés sont tous toujours là et peut-être même plus encore de nos jours. Les mentions répétées de Donald Trump ne doivent rien au hasard, la mini-série de Netflix est un pamphlet politique en règle et il est d’une redoutable efficacité. Ana DuVernay sait aussi laisser la place aux émotions quand c’est nécessaire et son œuvre est très touchante aussi par moment. Dans leur regard mérite absolument le détour, ne passez surtout pas à côté.