Pour raconter l’histoire déjà si célèbre de Jules César, Joseph L. Mankiewicz opte pour une source tout aussi célèbre : William Shakespeare. C’est en effet la pièce éponyme du dramaturge anglais qui sert de base à Jules César, tant pour sa trame narrative que pour ses dialogues, le texte original ayant servi à écrire le scénario. Ce choix pas très original pour l’époque donne forcément à ce péplum de 1953 des airs de théâtre filmé, avec relativement peu de lieux et surtout un ton très dramaturgique, avec des échanges assez peu naturels entre les personnages. Malgré quelques bons moments ici ou là, le résultat est sans doute trop proche du matériau original pour convaincre.
Dans le Jules César de Joseph L. Mankiewicz, comme dans celui de William Shakespeare d’ailleurs, Jules César n’est pas le personnage principal. Il est assez peu présent à l’écran, meurt relativement vite et de toute manière, ce n’est pas lui qui intéresse surtout le dramaturge comme le réalisateur, c’est plutôt la conspiration et les tractations politiques qui entourent sa mort. Alors que celui qui a été nommé dictateur à vie de Rome rentre triomphant après avoir battu Pompée, plusieurs sénateurs ont peur qu’il n’en profite pour restaurer la monarchie et décident de passer à l’action contre Jules César. Le complot se forme rapidement et quand Brutus, ami du dirigeant romain, accepte de participer, il prend forme au sénat. Une dizaine de coups de couteaux, le coup de grace de Brutus, tout cela est bien connu et ce n’est manifestement pas ce que le cinéaste veut montrer en priorité. La scène est aussi rapidement évacuée qu’elle avait été longuement préparée en amont, avec deux scènes de dialogue, l’une à côté de l’arène où César est salué par le peuple, l’autre le soir chez Brutus. Joseph L. Mankiewicz préfère consacrer du temps à l’écran sur les conséquences de l’assassinat et tout particulièrement pour une très longue et très réussie scène sur les marches du sénat. Brutus sort en premier pour expliquer son geste face à une foule mécontente, César étant à cette époque assez populaire. L’orateur parvient habilement à la retourner en sa faveur toutefois, puis laisse la parole à Marc-Antoine, aussi proche de César que s’il était son fils. Plus fin politique qu’il ne le laissait paraître, il parvient à retourner la foule à son avantage, en promettant notamment de l’argent à tous les citoyens romains dans le cadre d’un héritage de l’empereur. Commence alors une guerre civile, entre Marc-Antoine et Oscave, fils adoptif de César, d’un côté et Brutus et Cassius de l’autre. La dernière partie du film se consacre ainsi à cette guerre, avec en guise de point culminant une bataille que l’on pourrait croire sortie tout droit d’un western. Même si Jules César reste très proche du texte original, les énormes moyens à disposition de Hollywood sont mis à profit pour recréer une grande scène de bataille et les décors de Rome sont pleins de figurants. Cette association entre le summum du réalisme offert par le cinéma des années 1950 et les dialogues sortis tout droit du XVIIe siècle est assez étrange. Et elle ne fonctionne pas vraiment, peut-être parce que les acteurs sont assez bloqués dans leur jeu. Même Marlon Brando, propulsé en tête des affiches alors qu’il n’a qu’un rôle secondaire, peine à tirer son épingle du jeu et ce n’est certainement pas sa meilleure prestation.
À l’heure des bilans, cette mise en images animées du classique shakespearien a du mal à satisfaire. L’idée de garder la diction théâtrale n’est pas forcément mauvaise, mais dans un péplum de grande envergure, cela ne passe pas très bien. Peut-être que les acteurs choisis ne convenaient pas forcément, mais quoi qu’il en soit, le résultat est le même : le Jules César de Joseph L. Mankiewicz raconte une histoire bien connue, sans lui apporter quelque chose de vraiment nouveau, sans briller. Dommage.