O’Brother se présente comme une adaptation de l’odyssée d’Ulysses racontée par Homère, mais c’est presque une fausse piste. Joel et Ethan Coen s’inspirent de ce récit mythique et de la mythologie antique pour composer le scénario de leur film et il y a quelques idées et allusions qui parsèment l’histoire, c’est vrai. Mais ce n’est pas une adaptation fidèle et d’ailleurs, les deux frères reconnaissent volontiers qu’ils n’ont jamais lu l’Odyssée avant le tournage. O’Brother est une comédie qui pioche assez librement dans l’imaginaire mythologique pour créer un road-movie dans le Mississippi de la Grande dépression. Plus proche de la farce que de la tragédie, le long-métrage est un bijou d’humour absurde comme le duo sait si bien en proposer.
Un trio de prisonniers parvient à s’échapper des travaux forcés et s’enfuit à travers les champs du Mississippi à l’été 1937. Ulysses Everett McGill mène la bande après avoir promis à Pete et Delmar qu’un trésor les attendait là où il l’avait caché. C’est le point de départ du road-movie assez invraisemblable imaginé par Joel et Ethan Coen. Les trois forçats affrontent de multiples péripéties pour arriver à ce trésor, et comme les cinéastes le mettent en avant dès le panneau d’ouverture, ces aventures sont calquées sur l’Odyssée de Homère. Très vaguement calquées, faudra-t-il dire : on reconnaît bien quelques moments clés, comme ce passage avec des sirènes, ce personnage borgne qui représente le cyclope ou encore le déguisement d’Ulysses en vieil homme à la fin. L’air de rien, on peut dresser une longue liste de points communs entre les deux œuvres, sans pour autant que ce soit une adaptation. O’Brother préfère manier l’humour et même la farce par endroits, plutôt que de rester sur le sérieux de l’œuvre originale. Son trio de personnages principaux est ainsi constamment ridicule : Everett est un beau-parleur qui fait de belles phrases souvent vides de sens et qui pense davantage au soin apporté à ses cheveux qu’à tout autre chose. Delmar est un simple d’esprit avec un accent sudiste à couper au couteau, et Pete ne vaut pas beaucoup mieux avec son envie d’ouvrir un grand restaurant. Les frères Coen ont trouvé le bon trio d’acteurs pour les incarner : George Clooney, John Turturro comme Tim Blake Nelson sont parfaits pour leur personnage respectif. Le succès du film provient largement d’eux, mais le scénario regorge aussi d’idées tantôt comiques, tantôt quasiment politiques. C’est peut-être aller un petit peu trop loin pour cette comédie assez légère, mais O’Brother adresse frontalement quelques sujets difficiles, du racisme à la bêtise religieuse. Le Ku Klux Klan est ridiculisé sur le mode de la comédie musicale et l’affrontement politique entre les deux candidats pour la tête de l’État est totalement stupide, puisqu’il se base presque uniquement sur des goûts musicaux. Tout cela n’est pas très sérieux, mais ce sont aussi quelques piques lancées contre la société américaine contemporaine.
À sa sortie, O’Brother était aussi l’un des premiers longs-métrages à reposer entièrement sur un traitement numérique. Le tournage s’est fait avec de la pellicule, mais les couleurs ont été modifiées à l’ordinateur pour changer complètement les décors et obtenir un ton quasiment sépia. Le résultat n’est pas très naturel et on pense parfois à un tableau, ce qui était le choix des frères Coen. Vingt ans plus tard, les traitements numériques parfois agressifs se voient un petit peu, mais cela ne veut pas dire que le film a mal vieilli pour autant. Bien au contraire, ses thématiques résonnent toujours avec notre actualité et le jeu impeccable des acteurs n’a pas pris une ride. Pas plus que l’excellente bande-originale qui pioche dans la musique américaine des années 1920 et 1930 et qui est très plaisante. O’Brother mérite toujours le détour !