Le fait que l’historie racontée par Elephant Man soit inspirée d’une historie vraie n’est même pas le plus intéressant. Le deuxième long-métrage réalisé par David Lynch surprend toujours, près de quarante ans après sa sortie, par sa photographie très contrastée grâce à l’utilisation d’un noir et blanc très tranché, et surtout par le jeu de ses acteurs. Et même si les faits sont situés dans le Londres du XIXè siècle, la thématique centrale du projet étonne par sa modernité. En racontant l’histoire de cet homme difforme et maltraité presque de tous pendant toute sa vie, David Lynch raconte l’histoire de toutes les minorités et de tous les exclus de la société. Elephant Man n’est pas un film culte sans raison.
Le film prévient dans un carton initial, il s’inspire de faits réels. Elephant Man est en fait l’adaptation d’un livre rédigé par Frederick Treves, le médecin qui a soigné Joseph Merrick, renommé ici John Merrick. C’est lui qui, dans la vraie vie, a découvert celui que l’on connaissait sous le nom d’homme éléphant, dans une exposition de phénomènes de société, comme il en existait encore à cette époque. Même s’il s’inspire de ces faits réels, le scénario s’en éloigne aussi assez nettement, avec plusieurs différences qui renforcent le côté dramatique. David Lynch n’a pas choisi cette voie par hasard toutefois : il cherche très clairement à dénoncer les préjugés et la violence de la société contre la différence, et sa vision de l’histoire le rend avec force. Alors que le vrai Joseph Merrick est entré de lui-même au cirque, certes parce qu’il a été viré de chez lui et qu’il ne pouvait faire aucun autre travail, le John du cinéma est utilisé par un « propriétaire » alcoolique qui le bat régulièrement. De fait, le médecin de l’hôpital de Londres qui le retrouve lui sauve la vie en le recueillant. L’institution est d’abord sceptique, mais la patience de Frederick Treves parvient à porter ses fruits, puisque l’homme éléphant s’avère en fait être un homme très intelligent et même assez distingué. Son corps totalement difforme effraie ou amuse, mais c’est une personnalité passionnante qui se dévoile pour qui prend la peine de le connaître. Elephant Man devient ainsi une ode à l’acceptation des différences et même à la différence elle-même, avec une critique acerbe des gens « normaux » qui se moquent de l’inconnu et de ce qu’ils ne comprennent pas. Pour raconter cette histoire, David Lynch opte pour un tournage en noir et blanc et il pousse les contrastes au maximum, avec des séquences quasiment dans le noir. C’est magnifique et ce traitement permet au long-métrage de parfaitement résister au poids des années. Si le projet a eu autant de succès à sa sortie et jusqu’à aujourd’hui, c’est aussi grâce au talent de ses deux acteurs principaux. Anthony Hopkins est très juste dans le rôle du médecin et il parvient très bien à rendre compte des paradoxes de son personnage, qui sauve John de la vie misérable qu’il menait pour la reproduire quasiment à l’identique dans son hôpital. Mais la vraie star, c’est bien John Hurt, méconnaissable sous l’épais maquillage qui le transforme en l’homme éléphant, et pourtant capable de transmettre toutes les émotions nécessaires avec une subtilité incroyable. C’est une sacré performance pour un acteur, et il tient le rôle avec un immense talent.
Contrairement à d’autres projets plus récents, David Lynch conserve une simplicité sur la forme comme le fond avec Elephant Man et c’est sans doute l’un de ses films les plus accessibles. À part une séquence d’ouverture assez bizarre — suggère-t-il qu’il pourrait s’agir d’un viol ? — et une séquence de fin onirique, son film est une reconstitution historique directe et assez simple. Ce n’est pas un défaut, le récit se suffit à lui-même et les acteurs ont ainsi tout loisir d’exprimer l’étendue de leur talent. Elephant Man est une ode touchante de la différence et c’est un long-métrage que vous auriez tort de ne pas (re)voir.