Pour son tout premier film, François Truffaut choisit un sujet largement autobiographique. L’histoire d’Antoine, garçon de 12 ans qui a du mal à trouver sa place dans une famille qui ne l’aime pas et dans un système scolaire qui le rejette, est très largement inspirée par sa propre vie. Les Quatre Cents Coups n’est pas complètement une autobiographie pour autant, et c’est l’un des films qui ont popularisé le mouvement de la Nouvelle Vague, qui commençait à prendre de l’ampleur au tournant des années 1960. Soixante ans après sa sortie, c’est quasiment un documentaire, en tout cas un témoignage saisissant d’une époque révolue. Un classique, qui mérite bien sa réputation.
Les Quatre Cents Coups commence dans une salle de classe d’une école de garçon parisienne, à la fin des années 1950. Comme l’intégralité du film, cette première séquence est tournée dans des décors naturels et loin des studios qui étaient encore presque exclusivement utilisés à l’époque. Le réalisme de ce passage dans la classe saute aux yeux — même si le choix d’un doublage postérieur, sans doute imposé par les conditions de l’époque, nuit quelque peu au réalisme de l’ensemble —, les enfants parlent tous un petit peu en même temps et on se sent quelque peu perdu pendant une minute ou deux. François Truffaut introduit vite son personnage principal toutefois, Antoine, un garçon turbulent de douze ans qui n’est manifestement pas fait pour l’école. Face à un système rigide et daté, il rêve et rédige un poème sur le mur derrière le tableau noir où le professeur l’a envoyé un piquet. Plutôt que de rédiger la punition demandée, il préfère sécher l’école le lendemain et passe toute la journée avec son camarade René. Ne cherchez pas une histoire plus complexe que cela, le long-métrage se construit autour de ce personnage et de ses mésaventures qui montent crescendo jusqu’au moment où ses parents, qui le négligent depuis des années, décident qu’ils ne veulent plus s’occuper de lui. Ils l’envoient alors dans un « Centre d’observation » qui ressemble davantage à une prison pour mineurs.
On pourrait le considérer comme une ode à l’école buissonnière, mais Les Quatre Cents Coups offre surtout une critique assez violente d’une famille et aussi d’une société qui n’a pas su gérer un enfant pourtant intelligent et même gentil. Jean-Pierre Léaud, dont c’est le tout premier rôle, est excellent pour incarner ce jeune amateur de Balzac qui se voit renvoyé de l’école parce qu’il s’est inspiré un petit peu trop de l’écrivain. C’est un garçon courageux et très perspicace, ce qui comprend bien qu’il n’est pas désiré par ses parents et qui préfère vivre seul. Face à lui, il n’y a pas un adulte pour rattraper l’autre : ni sa mère qui lui reproche toujours sa propre existence, ni son père qui n’est jamais vraiment là pour lui, encore moins ses enseignants qui passent complètement à côté de son potentiel. Il ne s’entend qu’avec René, un autre enfant complètement abandonné de ses parents et qui l’entraîne dans ses aventures. Le plus étonnant avec tous ces sujets, c’est de constater à quel point ils sont encore d’actualité. Combien de jeunes pourraient se retrouver dans cet Antoine, manifestement brillant, mais inadapté face aux exigences monolithiques du système scolaire et de la société ? L’effet est aggravé par cette époque sans adolescence, où ces jeunes à peine sortis de l’adolescence sont directement traités comme des adultes. La nuit en prison est assez effrayante à cet égard, tout comme l’est cette habitude de fumer régulièrement, alors qu’ils n’ont que douze ans. François Truffaut a rendu compte d’une époque disparue, et c’est heureux : Les Quatre Cents Coups ne donne vraiment pas envie d’être nostalgique. Le Paris sale et nuageux présenté ici ne fait pas rêver, encore moins l’appartement miteux où s’entasse toute la famille.
Ce film est aussi un document historique à cet égard, et pas seulement parce qu’il présente un Paris disparu, où l’on peut avoir des usines au premier-plan et la Tour Eiffel derrière. Les Quatre Cents Coups est aussi l’une des premières œuvres majeures de la Nouvelle-Vague, en tout cas l’une des premières à avoir popularisé le mouvement. François Truffaut signe aussi une œuvre manifestement très personnelle, ce qui lui a valu quelques disputes familiales, mais c’est aussi ce qui explique la réussite du projet.