Échec commercial dans les salles, Les Évadés a obtenu son statut d’œuvre culte au fil des années. Cette adaptation d’un roman court signé Stephen King par Frank Darabont est un ambitieux long-métrage de près de deux heures et demi sur un homme envoyé en prison pour le meurtre de sa femme et de son amant alors qu’il est innocent. Ce sujet pourrait conduire à une relecture intéressante des films de prison, mais ce n’est pas la voie choisie par le cinéaste, qui signe une œuvre très classique, autant sur la forme que le fond. Comment Les Évadés a-t-il pu obtenir ce statut ? Difficile à dire, surtout quand on considère son homophobie latente. À éviter.
Andy, banquier sans histoire, est le seul suspect dans le meurtre de sa femme alors qu’elle était avec son amant. Il était sur place, ses empreintes sont partout et il avait une arme… autant de preuves difficiles à ignorer alors qu’il clame so innocence et le juge le condamne à deux peines de prison à vie, une par victime. Il se retrouve dans la prison de sécurité la plus proche pour ce crime et commence en 1947 sa nouvelle vie derrière les barreaux. Frank Darabont opte pour un traitement très littéraire de son adaptation, avec un narrateur qui raconte l’histoire. La voix de Morgan Freemans est facile à reconnaître, c’est lui le conteur et il incarne aussi Red, un autre prisonnier qui purge sa peine à vie depuis une vingtaine d’années quand le film commence. Les deux hommes vont rapidement se lier d’amitié et toute l’intrigue se construit autour de ce duo. La bonne idée du scénario est de ne pas répondre immédiatement sur la culpabilité du personnage principal, on ne sait pas s’il est innocent comme il le dit, ou s’il fait semblant comme les autres prisonniers. C’est bien, mais c’est la seule « surprise » de ce récit par ailleurs très encadré et très convenu. Toutes les péripéties sont prévisibles, surtout avec le titre français qui vend la mèche.
Le titre original, The Shawshank Redemption, n’est peut-être pas vendeur et il explique en partie l’échec commercial à la sortie du film, mais il évite le divulgâchage. En contrepartie, il lève le voile sur l’omniprésence de la religion, imposée dès l’entrée en prison par le docteur hyper religieux. Qu’un personnage le soit, c’est une chose, mais Frank Darabont semble apprécier cet angle, puisqu’il multiplie les références tout au long de son histoire, au point de créer un paradis mexicain en guise d’échappatoire ultime. Est-ce que le réalisateur nous dit que la prison est le lieu de rédemption parfait ? Son traitement de la prison pourrait le faire penser. Certes, il dépeint les horreurs, notamment du chef des gardiens qui n’hésite pas à battre un prisonnier à mort dès le premier soir de son arrivée, mais Les Évadés présente aussi les décennies passées entre les murs du pénitentiel avec une douceur inattendue et suspecte. Alors quand le personnage de Morgan Freeman prononce ces mots d’une violence inouïe sur les homosexuels de la prison, est-ce le personnage qui parle ou le réalisateur ? On entend rarement des propos homophobes aussi violents, surtout dans la bouche d’un personnage positif et non d’un antagoniste. Par la suite, l’obsession du film sur l’homosexualité est troublante et l’ensemble a des relents malsains et ce n’est pas l’hommage rendu par le cinéaste à son agent mort du SIDA qui améliore la situation. Bien au contraire, cette mention à la fin ressemble à un aveu et c’est limite insultant.
Avec ces messages douteux sur le fond et une forme finalement assez banale — c’est un film de prison comme il en existe des dizaines, guère plus —, on se demande au bout du compte ce qui a attiré autant de monde. Certes, les deux acteurs principaux se débrouillent bien et Les Évadés est un drame très classique qui pourrait avoir son charme, mais est-ce suffisant pour justifier ce statut culte ? Pas sûr du tout…