Angels in America est l’adaptation pour la télévision d’une pièce qui a connu un grand succès dans les années 1990. Entre l’ère Reagan et l’épidémie de SIDA, elle évoque les États-Unis au milieu de la décennie 1980 à travers six personnages dont le parcours s’entrecroise. La mini-série portée par HBO a été créée par Tony Kushner, l’auteur de la pièce originale, ce qui lui garantit une fidélité parfaite au texte. Cette version filmée permet à Angels in America d’exprimer toute sa part de fantastique avec une flamboyance que la scène d’un théâtre ne pouvait pas permettre, mais en oubliant que les monologues ne sont pas toujours aussi adaptés dans ce contexte. Malgré quelques défauts, cela reste une très belle évocation intense et poignante de la terreur des années SIDA, portée par un casting cinq étoiles.
New York, 1985 : Prior annonce à son compagnon depuis quatre ans, qu’il est atteint du SIDA. Louis ne supporte pas la maladie et il le quitte immédiatement. Voici le point de départ d’Angels in America, une fresque qui dépasse largement et très rapidement l’histoire de ce couple. En plus de Prior et Louis, l’intrigue se construit autour de quatre aux personnages principaux : Joe, mormon et homosexuel refoulé pour des causes religieuses ; sa femme Harper tente de se consoler en prenant de fortes doses de Valium ; Roy est le patron de Joe et un avocat puissant dans le camp des républicains, gay lui aussi, mais dans le placard pour des raisons politiques ; et enfin, « Belize », meilleur ami de Prior et infirmier qui voit défiler les malades du SIDA dans son service. Ces personnages ont des liens entre eux, trois par trois initialement, puis leurs histoires se mélangent tout au long de la série. Joe tombe amoureux de Louis, Harper rencontre Prior dans l’une de ses visions et Belize doit soigner Roy à la fin de sa vie. Ils sont tous reliés d’une manière ou d’une autre à la terrible maladie qui a emporté tant d’homosexuels dans les années 1980 et c’est aussi l’un des principaux sujets d’Angels in America. Tony Kuschner l’aborde de façon frontale, en montrant sans détour ses effets sur les corps et les morts souvent horribles qui en découlent. Dans le rôle de Prior, Justin Kirk est impeccable pour représenter sa longue agonie avec beaucoup d’intensité, mais Al Pacino donne lui aussi de sa personne et il est bluffant dans le rôle de cet odieux avocat gay et homophobe, qui considère sa maladie comme un cancer tout en accaparant un maximum de doses du premier traitement contre le SIDA. C’est une vision intense et terrifiante qui justifie à elle seule de voir la série, surtout pour les générations qui ont eu la chance de naître après et de ne pas avoir connu cette époque sans espoir.
De la même manière que les personnages se démultiplient, il n’y a pas qu’un seul sujet dans Angels of America. Le SIDA en est un, mais la série en brasse d’autres, notamment la question de l’homosexualité et de son acceptation par les religions. Dès la première scène, un enterrement juif, les religions occupent une place centrale dans l’histoire et c’est le cas ensuite jusqu’à la fin. On peut dire que c’est une obsession du dramaturge, qui passe beaucoup de temps à interroger les récits religieux et à envisager le point de vue de différentes religions. Outre le judaïsme et le protestantisme, ce sont les Mormons qui ont une place centrale avec les personnages de Joe et Harper, puis de Hannah qui débarque depuis Salt Lake City à New York suite au coming-out de son fils. La place de la religion juive s’explique aisément, Tony Kuschner est né dans ce milieu et on peut imaginer que l’histoire est en partie autobiographique. Le choix des Mormons peut surprendre, surtout les spectateurs peu habitués à la religiosité ambiante habituelle aux États-Unis, mais la haine de soi ressentie par Joe pour des motifs religieux n’est pas liée directement à cette religion et on pourrait la retrouver partout. C’est un motif passionnant et très bien représenté par Patrick Wilson, qui compose un Joe en proie à de multiples contradictions. L’homosexualité est entre deux extrêmes dans Angels in America, refoulée chez les uns, exacerbée chez les autres, avec un Belize assez caricatural par moments1. Il faut dire que les extrêmes n’effraient jamais le créateur de la pièce et de son adaptation, qui tire son récit vers le fantastique clinquant. Les visions de Prior provoquées par ses médicaments, celles de Harper causées par le valium sont autant d’explorations et de questionnements sur la vie après la mort, le paradis ou encore la place des dieux et des anges dans l’univers. S’agit-il seulement de visions ou l’apparition des anges est-elle réelle ? La série laisse les deux options ouvertes et cette version télévisée offre toute la folie nécessaire, malgré des effets spéciaux numériques qui ont très mal vieilli. Fort heureusement, les quelques touches humoristiques allègent l’ensemble et évitent à la série de trop se prendre au sérieux, même si elle retombe dans ce piège à d’autres moments.
Tony Kuschner est avant tout un dramaturge et Angels in America est d’abord une pièce de théâtre. Un autre aurait peut-être choisi de s’éloigner davantage du format original pour passer de la scène à la télévision. La mini-série de HBO reste résolument plus proche du théâtre que du cinéma, avec une mise en scène volontairement simple et une action limitée le plus souvent à un échange entre deux ou trois personnages dans un décor fixe. Ce n’est pas trop gênant, sauf quand les dialogues prennent le dessus et cassent le rythme, avec des tirades qui ne sont pas toujours essentielles. Angels in America reste une œuvre qui se regarde facilement et son impressionnant casting est à la hauteur des besoins. Il faudrait d’ailleurs citer le nom de Meryl Streep, qui interprète pas moins de quatre rôles secondaires, dont un en tant que fantôme et qui est impressionnante comme toujours. Avec tous les autres acteurs, elle fait la différence et justifie amplement de recommander la série.
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- Le fait que son interprète, Jeffrey Wright, soit hétérosexuel n’aide sans doute pas. ↩