Légendaire avant même sa sortie, Waterlord était alors le long-métrage le plus coûteux de l’histoire du cinéma et un projet connu pour son tournage difficile. Ce « Mad Max sur l’eau » comme on le résumait déjà, imagine un monde post-apocalyptique où la fonte des deux pôles a provoqué une incroyable montée des niveaux marins, si bien que l’Océan a perte de vue est tout ce qu’il reste de l’ancien monde. C’est une idée forte pouvait donner lieu à une fable écologique, mais c’est finalement du côté steampunk imaginé par George Miller que le film va davantage chercher. Kevin Reynolds parvient à donner vie à un univers assez bluffant par sa cohérence interne, mais le projet est trop torturé et remanié pour que le résultat ne soit pas le film brouillon qu’est Waterworld. Quelques bonnes idées, mais pas assez pour sauver l’ensemble…
À défaut d’être très réaliste, le point de départ de l’univers de Waterlord est tristement d’actualité. Suite à des siècles de réchauffement climatique, les deux poles ont fondu et le niveau des océans a tellement monté que toute la surface terrestre a été recouverte. Le concept même de terre ferme est désormais une légende, surnommée le « Dryland » : un paradis qui fait rêver les uns, une histoire pour les enfants selon les autres. Dans cet univers, les quelques survivants doivent se dérouiller avec des embarcations de fortune ou au mieux des « Atoll » artificiels, créés avec des pièces récupérées de l’ancien monde, de la tole ou d’autres matériaux qui servent à construire des sorte de forts flottants. C’est un monde violent, où la loi du plus fort est la seule qui subsiste, un monde qui rappelle indéniablement celui imaginé par George Miller, mais avec l’Océan à la place du désert et les bateaux à la place des voitures. On retrouve la même ambiance industrielle et crasse, et il faut reconnaître qu’elle est très bien rendue dans le long-métrage de Kevin Reynolds. L’atoll au début du film a été construit entièrement en pleine mer pour les besoins du tournage, une idée un peu folle qui a causé une explosion du budget et de nombreux problèmes techniques, certes, mais une idée qui paye. Le réalisme de ces décors est assez incroyable, tout comme on peut relever la cohérence de l’univers. Tout est fait à partir d’éléments qui proviennent d’épaves de navire et d’autres restes de l’ancien monde et les scénaristes ont pensé à tous les détails. Par exemple, la terre et le papier sont devenus les deux éléments les plus précieux qui soit et une monnaie d’échange très recherchée. L’un des clans a de l’essence pour faire fonctionner des bateaux à moteur, mais c’est uniquement parce qu’il a pris résidence dans un ancien supertanker.
Comme le choix de filmer en pleine mer plutôt qu’en piscine, cette attention aux détails est payante et Waterworld nous plonge dans un monde crédible, du moins en interne. Naturellement, l’idée que les eaux soient montées si haut qu’il ne reste plus qu’une seule surface immergée, l’Everest probablement, ne tient pas debout. De même, on a du mal à comprendre comment l’humanité peut survivre avec aussi peu de ressources, alors que personne ne sait manifestement désaliniser l’eau de mer. Laissons de côté ces petites et grosses incohérences. Si l’on accepte le postulat de base, force est de constater que Kevin Reynolds a fait un superbe travail pour créer un monde post-apocalyptique aquatique. Les décors, les costumes et même la langue inventée pour ceux qui vivent en permanence sur la mer sont autant de petites touches qui, combinées, constituent une base solide pour cet univers. Mais ces fondations n’ont de sens que pour une histoire et c’est là que les problèmes commencent à arriver. En soi, l’intrigue construite autour de cette petite fille qui dessine des éléments étranges que personne n’a jamais vu, comme des arbres, et qui semble avoir une carte tatouée sur son dos, n’est pas mauvaise. Le antihéros bougon qui sauve la fillette et sa mère est un classique que l’on a croisé des milliers de fois, mais qui peut tenir la route. Le plus gros problème provient des désaccords sur la direction de l’intrigue et sur le ton du film. Ces désaccords, en particulier entre Kevin Reynolds et Kevin Costner, star productrice qui fait de Waterworld son projet personnel, se ressentent inévitablement à l’arrivée. Faut-il signer un film sombre pour adultes ou un blockbuster familial ? Faute de choisir, on reste dans un mélange assez étrange, avec un méchant qui oscille entre menace sérieuse et grotesque ridicule, ou encore avec une bande-originale guillerette pour mettre en musique un massacre. Dennis Hopper en impose par sa présence à l’écran, mais ses dialogues et son jeu outrancier le poussent davantage vers la comédie que l’horreur qu’il devrait inspirer. En même temps, ce monde aquatique est trop sombre et cruel pour en faire un film grand public, même s’il y a quelques séquences d’aventure assez sympathiques.
À trop hésiter entre ces différentes tendances, Waterworld ne parvient pas à réellement mettre son univers si bien pensé à profit. Au bout du compte, le budget pharaonique du projet se retrouve bien dans les décors et la mise en scène, mais on reste avec le sentiment que cette bonne base n’a jamais été correctement exploitée. Kevin Reynolds ne voulait pas réaliser le film à cause des différents qu’il avait eu avec la star sur un précédent tournage et il est difficile de lui donner tort. Waterworld aurait pu être un bien meilleur long-métrage s’il avait eu un angle plus affirmé dès le départ. En l’état, il fait partie de ces tournages légendaires qui sont au fond presque plus intéressants que le film qui en est ressorti.