Avec À couteaux tirés, Rian Johnson semble s’être donné comme défi de créer une adaptation d’un roman d’Agatha Christie… sans roman original. Le réalisateur a aussi écrit le scénario, imaginé il y a quinze ans de cela et même s’il revendique l’inspiration, c’est bel et bien une histoire originale. Une énigme à résoudre, un « whodunit1 » dans la plus grande tradition du genre, avec un suicide qui pourrait être un meurtre impossible, une grande maison baroque, une famille frappée et un enquêteur brillant. À couteaux tirés ne révolutionne pas le genre, mais le cinéaste et les acteurs s’amusent comme des fous et nous avec. Un puzzle fun à ne rater sous aucun prétexte.
Le lendemain de son 85e anniversaire, le célèbre romancier Harlan Thrombey est retrouvé mort dans son bureau, la gorge tranchée. Tout semble indiquer qu’il s’agit d’un suicide, les projections de sang éliminent l’hypothèse d’un tiers présent lorsque c’est arrivé, et pourtant quelqu’un embauche Benoit Blanc, un détective privé, pour mener l’enquête. Pourquoi demander à un détective d’enquêter sur un suicide, si ce n’est parce qu’il pourrait s’agir d’un meurtre ? La police est sceptique, mais l’enquête est ouverte malgré tout et c’est la famille du décédé qui est suspectée. L’homme était multi-millionnaire et toute sa famille vivait à ses crochets, directement ou indirectement. Benoit Blanc découvre rapidement qu’ils avaient tous une bonne raison de vouloir le tuer, car il a profité de la soirée d’anniversaire pour couper ses financements avec tout le monde. Mais quand le testament arrive, on découvre que c’est Marta, son infirmière, qui hérite d’absolument tout, la maison, la fortune et les droits sur les livres. Voilà qui en fait la suspecte numéro un, d’autant que le testament pourrait être annulé si elle a causé la mort du vieil homme. Rian Johnson pose progressivement cet univers et surtout sa galerie de personnages, À couteaux tirés étant à bien des égards un film choral. Certes, on suit surtout le détective et l’infirmière, mais chaque personnage a droit à son moment de gloire et le réalisateur a créé des types hauts en couleur. On frôle souvent la caricature et l’accent sudiste de Daniel Craig a du mal à passer, mais c’est aussi assumé et dans l’ensemble très bien amené. Le casting cinq étoiles réunit pour l’occasion s’en donne à cœur joie et on sent qu’ils se sont bien amusés dans cette immense maison baroque et bizarrement conçue.
Le plaisir de la découverte, de l’énigme qui se déploie peu à peu et de la vérité qui finit par surgir progressivement, n’a pas été oublié. Rian Johnson a imaginé une histoire assez dingue que l’on se gardera bien évidemment de dévoiler. Même si À couteaux tirés ne se résume pas à savoir qui a fait quoi, la réussite du projet tient précisément en ce puzzle. Qui a intérêt de tuer Harlan ? Qui pourrait l’avoir fait ? Ou alors n’est-ce qu’un suicide ? Les questions fusent et le spectateur est impliqué dans leur résolution. Le scénario reprend l’idée d’un détective brillant qui comprend immédiatement que les choses sont bien plus complexes que les personnages veulent bien le dire, mais ce n’est pas pour autant qu’il livre sa résolution dans une grande scène sans explications en amont. D’ailleurs, Benoit Blanc est à l’égal des spectateurs au début, aussi perdu sur les raisons de sa présence et sur la possibilité même d’une enquête. Son travail avance par la suite petit à petit, pour nous permettre de suivre et aussi de participer. Rian Johnson est un réalisateur qui adore les petits détails et les clins d’œil et vous pouvez repérer des éléments importants dès les premières scènes, sans savoir immédiatement à quoi ils serviront. Là encore, ce n’est nullement original et ce Benoit Blanc évoque évidemment Hercule Poirot — le nom francophone n’est pas un hasard —, mais aussi Sherlock Holmes et d’autres détectives dans le même esprit. Le créateurs d’À couteaux tirés n’essaie pas de réinventer la roue, il se contente d’offrir une relecture de ces classiques, modernisée malgré tout. En particulier, on ne peut pas ignorer le contexte politique, très présent dans la série, entre la famille composée de nazis racistes et tous plus hypocrites les uns que les autres, et face à eux, cette infirmière issue de l’immigration sud-américaine. Tout un symbole, qui est intégré avec subtilité par le cinéaste. Il n’en fait pas son sujet principal, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’a pas son mot à dire et qu’il utilise ce film pour faire passer un message.
À couteaux tirés est à l’image de la grande villa qui lui sert de cadre principal : baroque, ampoulé sur les bords et surtout éminemment sympathique. Rian Johnson a parfaitement réussi son hommage à Agatha Christie et on comprend qu’il travaille déjà sur une suite, avec Benoit Blanc de retour pour dénouer un nouveau mystère. Si la qualité est maintenue et si Daniel Craig pouvait réduire légèrement son accent un peu ridicule, on est tout à fait partants !
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- Raccourci pour « who has done it », que l’on pourrait traduire par « qui l’a fait ? ». En général, la question se pose pour un meurtre. ↩