Mank raconte le monument du cinéma qu’est Citizen Kane par le prisme de son scénariste, Herman J. Mankiewicz, alias « Mank ». David Fincher nous plonge dans l’âge d’or de Hollywood, pendant la difficile rédaction de ce qui allait devenir l’un des scénarios les plus connus de l’histoire, mais aussi pendant sa genèse au cœur des années 1930. C’est autant le biopic d’un homme alcoolique au bout du rouleau qui a failli ne même pas être crédité pour son travail qu’un hommage au cinéma d’alors. Le réalisateur a utilisé des caméras numériques ultra-modernes sur le tournage, mais le résultat est un noir et blanc comme on en voyait à cette époque. À cet égard, Mank est tout autant un hommage au travail d’Orson Welles qu’une étude de ceux qui ont créé Citizen Kane. Une belle réussite à ne pas rater.
L’histoire est connue, mais toujours aussi surprenante : Orson Welles obtient carte blanche de RKO pour réaliser un film, n’importe quel film. Le réalisateur n’a que 24 ans, mais ses passages à la radio ont absorbé l’Amérique entière et ses talents de conteur ne passent pas inaperçus. Il fait appel à « Mank », un grand scénariste qui a enchaîné les succès à Hollywood dans les années 1930 et qui est un auteur très demandé. Il accepte d’écrire un scénario en 90 jours, mais Orson Welles exige un résultat en 60 seulement. Cette tâche difficile est encore compliquée par l’état du scénariste : alcoolique notoire, il vient en plus de se blesser dans un accident de voiture. Orson Welles l’envoie dans un ranch isolé au milieu du désert américain pour éliminer toutes les tentations et le forcer à se concentrer sur l’écriture. Alors que le futur scénario de Citizen Kane commence à émerger, David Fincher multiplie les retours dans le temps, des flashbacks qui remontent dans la décennie précédente et qui permettent de comprendre l’origine de l’histoire imaginée par Mank, celle de ce magnat de la presse largement inspirée par William Hearst. Mank passe ainsi d’une époque à l’autre, sans jamais perdre les spectateurs grâce à l’utilisation astucieuse d’intertitres extraits des scénarios, qui posent le cadre et l’époque. On découvre alors la rencontre entre Herman J. Mankiewicz et Marion, actrice et maîtresse de William Hearst avec laquelle il se lie d’amitié. Le scénario exploite aussi le contexte politique, les traces de la crise de 1929, la montée du nazisme en Allemagne et la peur maladive du communisme qui conduit Hollywood à inciter les Californiens à voter en faveur du candidat républicain lors des élections de 1934, au détriment de la vérité.
Ce contexte politique fait écho à notre actualité, bien sûr, et il est difficile de ne pas imaginer de liens entre notre époque et le Hollywood de 1934 reconstitué par David Fincher. Le réalisateur ne s’appesantit pas sur ce parallèle, il préfère se concentrer sur son personnage principal et son parcours. Mank est la star de Mank, il est de tous les plans ou presque et il fallait un acteur à la hauteur du rôle. C’est un Gary Oldman au naturel qui a obtenu le rôle et c’est indéniablement un excellent choix. L’acteur est excellent pour incarner ce scénariste de génie, mais aussi pour montrer sa lutte contre l’alcool en même temps que sa désillusion quand les studios de cinéma choisissent de raconter n’importe quoi pour assurer la victoire du candidat républicain lors des élections. Sa prestation pourrait justifier à elle seule de voir le film, mais ce n’est pas son seul argument pour autant. Il faut bien sûr évoquer la forme, toujours soignée chez David Fincher, mais qui est ici encore plus originale. Le film est en noir et blanc, avec un traitement qui le rapproche de la sensation d’un tournage sur pellicule. Le cinéaste a été jusqu’à ajouter des petits défauts en simulant notamment les trous qu’une pellicule légèrement abimée pourrait présenter. Comme souvent chez lui, les effets numériques sont très nombreux et constamment exploités, mais jamais visibles. Le rendu est magnifique, avec un noir et blanc très contrasté et une mise en scène qui évoque celle d’Orson Welles, sans tomber dans le pastiche facile. C’est très bien réalisé et cela donne au film une ambiance particulière et une épaisseur supplémentaire.
David Fincher a enfin pu réaliser le scénario signé de son père, plus de vingt ans après sa première tentative et c’est un vrai succès. L’histoire du scénariste de Citizen Kane était un sujet passionnant, mais l’hommage au cinéma des années 1930 ajoute une dimension supplémentaire à Mank. Le film s’apprécie d’autant mieux si vous avez vu celui d’Orson Welles, mais le cinéaste n’essaie pas de noyer ses spectateurs sous une montagne de références et clins d’œil. Pendant plus de deux heures, ils nous fait remonter le temps et c’est délicieux. À voir.