Peut-on passer près de vingt ans en prison à attendre la mort alors que l’on est innocent et sortir indemne ? C’est la question posée par Rectify, en imaginant le sort d’un jeune de 18 ans qui avoue un meurtre qu’il n’a pas commis sous la pression de la police. La série créée par Ray McKinnon débute à sa sortie de prison, après dix-neuf ans derrière les barreaux. Que se passe-t-il alors ? Comment recomposer avec sa famille et avec une ville qui considère encore en grande partie que vous êtes coupable ? Toutes ces questions difficiles forment le socle de cette création de Sundance TV, qui étudie les évolutions de son personnage principal, de sa famille et de la bourgade locale. Rectify offre une plongée poignante dans l’envers du décor pour tous ces condamnés par erreur et ses quatre saisons étudient avec soin et un grand sens du réalisme à quel point il peut être difficile de s’en sortir après une telle erreur. Dur et passionnant.
Daniel Holden, 18 ans, a fini par admettre qu’il a violé et tué Hanna, sa petite amie de 16 ans. Après ces aveux, l’issue du procès ne fait aucun doute et il est condamné à mort, la peine de mort ayant toujours cours dans l’État de Géorgie, dans le sud des États-Unis. Le voilà envoyé dans une prison pour vivre ses derniers jours, mais le système carcéral américain étant ce qu’il est, il n’est pas tué immédiatement. Les mois puis les années passent et Daniel reste dans le couloir de la mort, isolé dans sa cellule, à attendre que son sort réglé… jusqu’au jour où on lui annonce qu’une nouvelle analyse ADN a révélé qu’il n’a pas violé Hanna. C’est à ce point de l’histoire que Rectify commence, le pilote se déroulant d’ailleurs à la sortie de prison, face à un grand nombre de journalistes. Celui qui est entré encore adolescent en prison peut en sortir à l’âge adulte, mais il n’est pas encore libre. La preuve suffit à l’innocenter pour le viol, mais les autorités sont toujours aussi convaincues de sa culpabilité pour le meurtre. Un nouveau procès devrait ainsi avoir lieu, mais cette sortie de prison fait ressurgir une enquête vieille de vingt ans et elle remet en cause l’équilibre de la petite ville de Paulie. L’ancien procureur devenu sénateur croit dur comme fer en la culpabilité de Daniel, mais sa remplaçante n’est pas aussi sûre. Les scénaristes montrent bien à quel point cette affaire est devenue politique et a permis de lancer la carrière de ceux qui étaient en place alors. Toute remise en cause serait catastrophique, si bien que ces hommes sont moins intéressés par la vérité que par la préservation de leur jugement d’alors. Mais qu’en était-il vingt ans auparavant ? Ont-ils été aussi aveuglés alors ? Sur l’espace de quatre saison, Ray McKinnon donne quelques éléments de réponse sans se presser toutefois ; bien au contraire, il prend son temps et préfère concentrer ses efforts sur d’autres aspects peut-être encore plus importants.
La difficile réinsertion d’un prisonnier est en effet au cœur des enjeux de Rectify. C’est toujours une tâche difficile, ça l’est encore plus pour Daniel, qui a toujours été quelqu’un de solitaire et à part, un original dirait-on à l’époque de son incarcération. Quand il sort, c’est encore un enfant apeuré plus qu’un homme qui doit affronter le monde et on sent bien qu’il n’est pas du tout adapté. Son discours étrange devant les portes de la prison renforcent la plupart dans leur conviction qu’il est coupable, il faut dire qu’il ne cherche même pas à se défendre. Sa position équivoque est une superbe idée des scénaristes : pendant la majeure partie de la série, on ne sait pas si Daniel est coupable ou même s’il le sait lui-même. Entretenir ce doute n’est pas un artifice facile pour maintenir le suspense, c’est un élément clé pour comprendre le personnage et tout ce qui lui arrive. S’il n’est pas coupable, comme le croit sa sœur qui a tout fait pour le libérer, comment s’en remettre après une telle erreur ? S’il est coupable, comme le pense la majorité de Paulie et notamment son beau-frère, comment pourrait-il s’en tirer ? Ces hésitations sont constantes dans la série de Sundance TV et c’est une excellente idée. On ne sait jamais trop sur quel pied danser et même si l’enquête continue d’avance et finit par apporter des réponses, ce n’est pas le plus important. Ce qui compte davantage, ce sont les relations entre Daniel et sa famille et son parcours du combattant pour sa réinsertion. Loin d’en faire un personnage angélique, les créateurs de Rectify optent pour une approche complexe, où l’ancien condamné peut se comporter comme un idiot parfois, en se laissant entraîner dans des combines dont il devrait pourtant se méfier. Menée par le sénateur, la police de Paulie ne fait guère mieux et personne n’est complètement innocent dans cette affaire. Et puis au milieu, il y a la famille Holden qui se déchire et tente de faire au mieux face à un événement aussi horrible. Les saisons prennent le temps d’analyser l’impact du retour de Daniel sur chaque membre de la famille et personne n’en ressort indemne, pas même la sœur qui a tant fait pour le retour de son frère. C’est déchirant et il faut saluer le travail des acteurs, tous impeccables dans ce casting familial.
Rectify évite d’apporter des réponses faciles et c’est très bien ainsi. La série préfère évaluer toutes les facettes du problème que de répondre trop aisément sur la culpabilité ou même le déroulé exact des faits, vingt ans auparavant. Se concentrant plutôt sur le présent et ceux qui doivent composer avec un emprisonnement peut-être abusif, Ray McKinnon signe une série intense et marquante qui gagnerait à être plus connue. À ne pas rater.