Il n’y a pas que la sortie de Mourir peut attendre qui a été compliquée : avant de subir de multiples retards à cause de la pandémie de Covid-19, le dernier épisode dans la longue saga James Bond avait souffert de multiples réécritures de son scénario. Pas moins de quatre noms se partagent le script final, passé entre bien plus de mains encore. Danny Boyle devait réaliser le long-métrage, mais sa vision n’a pas été autorisée et il a préféré jeter l’éponge. C’est Cary Joji Fukugana qui s’y colle, un choix intéressant tant le réalisateur de l’excellente première saison de True Detective semblait pouvoir apporter sa vision particulière et un souffle nouveau sur la saga. L’annonce d’un nouvel agent 007 incarné par une femme noire terminait de mettre dans une ambiance de renouveau, mais hélas, on n’échappe pas à un scénario trop réécrit. Mourir peut attendre souffre visions trop diverses, d’un manque de direction et d’une terrible propension à célébrer le passé, au lieu d’aller de l’avant. Le résultat ressemble à un énième James Bond, avec la même série de cascades et les mêmes méchants sans intérêt… décevant.
007 Spectre souffrait déjà de cette mauvaise habitude à regarder vers le passé de la saga. Les droits sur le SPECTRE sont montés à la tête des producteurs qui ont cherché à réutiliser au maximum ce mythique groupe de méchants, qui a toujours été assez caricatural, mais qui passait mieux quand James Bond n’était pas très sérieux. La saga a basculé depuis Casino Royale dans une nouvelle ère, plus sombre et réaliste, portée par un Daniel Craig en pleine forme pour offrir un renouveau au mythique personnage. Mais c’était il y a 15 ans et l’acteur a vieilli, ce qui se voit cruellement dans la séquence d’introduction. Anormalement longue — le générique d’ouverture attend près de 30 minutes —, elle essaie aussi de coller au plus près de la fin de l’épisode précédent en imaginant une romance entre James et Madeleine. On n’y croyait pas chez Sam Mendès, on a toujours autant de mal chez Cary Joji Fukugana, mais le réalisateur semble vouloir couper les ponts et avancer dans une nouvelle direction. C’est même ce que dit son personnage féminin, en soulignant que l’espion ne peut pas évoluer dans la vie s’il regarde constamment par dessus son épaule. L’utilisation de l’Aston Martin DB5 est un clin d’œil un peu lourd, d’autant qu’il a déjà été fait avec Skyfall, mais si c’est pour mieux dire au revoir au passé, on peut l’excuser. Sans compter que la course-poursuite dans les petites rues du village italien où se déroule cette introduction est assez plaisante à suivre. De même, la partition imaginée par Hans Zimmer, une première pour le compositeur, n’est pas super originale, mais sa relecture des thèmes classiques de la saga fonctionne assez bien. Quoi qu’il en soit, quand la musique de Billie Eillish se fait entendre, on est fin prêts pour la suite ! Pour reprendre cinq ans plus tard, avec un espion supposément à la retraite, mais qui reprend du service à la première excuse venue. Si cela vous rappelle quelque chose, c’est peut-être parce que c’est le scénario de Skyfall qui est répété presque à l’identique. Malheureusement, ce départ moyen lance un film qui ne cesse, à l’image de son personnage principal, de regarder par dessus son épaule.
C’est assez troublant au fond, car d’un côté, Mourir peut attendre fait tout ce qu’il peut pour tuer quelques personnages importants des films précédents. Sans lister les morts pour ne pas divulguer les plus grandes surprises du scénario, notons tout de même que Cary Joji Fukugana semble vouloir régler quelques comptes avec le passé de James Bond. Après tout, cela semble logique, puisque Daniel Craig cède sa place à un autre et c’est à cet égard un épisode de rupture. Mais alors même qu’il y a tous ces morts et l’envie manifeste de passer à autre chose, le long-métrage déploie une intrigue paresseuse et surtout dépassée. Le premier point est un problème, on a constamment l’impression de savoir à l’avance ce qui va se passer et les scénaristes peinent à surprendre, ce qui provoque même par endroit quelques pointes d’ennuis. Le deuxième point est encore plus gênant : en introduisant un nouveau méchant qui a envie de détruire la planète entière, la saga patine avec les mêmes idées simplistes qui avaient pourtant été écartées avec succès ces dernières années. Ce méchant, incarné par un Rami Malek qui n’a manifestement pas du tout le bon âge1 et qui semble bien peu inspiré — on le comprend, n’a strictement aucun intérêt et on se désintéresse bien vite de son plan maléfique, ce qui enlève au film tous ses enjeux majeurs. Tout n’est pas à jeter pour autant et on peut saluer le travail sur les personnages secondaires féminins, avec une modernité qui aurait été apportée par Phoebe Waller-Bridge. Ce drôle de choix pour écrire un James Bond paye, mais uniquement à la marge : le personnage de Madeleine, incarnée par une Léa Seydoux plutôt convaincante, s’éloigne indéniablement de la série de « James Bond girls ». De même, l’idée d’introduire un nouvel agent 007, une femme noire incarnée par Lashana Lynch2, est bonne… sauf si c’est pour la laisser à un rôle de figuration pendant tout le film et surtout rendre le légendaire numéro à James Bond à mi-parcours. On n’aurait pas choisi meilleur symbole pour renforcer le patriarcat blanc, c’est tout de même navrant…3
Mourir peut attendre donne vraiment l’impression d’avoir été écrit une première fois avec une idée en tête, puis réécrit en cours de route avec une autre intention. D’un côté, le passage de flambeau et l’introduction de nouvelles têtes et surtout de nouvelles idées ; de l’autre, les bonnes vieilles habitudes et la routine d’une saga vieille de près de 60 ans. On imagine parfaitement les deux tendances contradictoires de l’écriture à la réalisation : la volonté de ne pas se couper des fans de la première heure, mais aussi l’idée de rester dans l’époque. Sauf que cette stratégie n’en est pas une et à trop vouloir contenter tout le monde, le dernier James Bond ne satisfait personne. Ni ceux qui se sentent menacés par la simple idée d’une espionne 007, ni ceux qui espéraient mieux qu’un méchant qui cherche à nouveau à détruire la planète comme on l’envisageait en pleine Guerre froide. Mourir peut attendre porte bien son titre après tout : la mort de l’ancien monde, ce n’est pas pour tout de suite.
- Il est censé avoir sauvé Madeleine quand elle était enfant et lui déjà adulte et pourtant ils ont visiblement à peu près le même âge. C’est quand même fou de faire ce genre de choix de casting… ↩
- Qui commence avec un clin d’œil sympathique au James Bond volage qui enchaînait les conquêtes dans chaque épisode pour mieux tordre le cou au mythe : bien vu. ↩
- Dans la même veine, on pourrait apprécier la reconnaissance de l’homosexualité de Q, mais elle est si timide que l’on en vient à se demander si ce n’était pas une erreur de l’acteur. Aurait-il été si compliqué de tourner la séquence en présence de son rendez-vous amoureux, au lieu d’y faire allusion si discrètement ? ↩