The Power of the Dog ressemble à un western parfaitement banal, avec son ranch perdu au milieu des immenses plaines de l’Ouest américain et avec ses cow-boys pour accompagner leurs immenses troupeaux de vaches. Jane Campion ne change pas la forme, mais s’attache à bouleverser le fond. En adaptant un roman de Thomas Savage, la réalisatrice opte pour une histoire complexe et pleine de sous-entendus, avec une romance homosexuelle cachée en toile de fond. Elle prend son temps dans ce long-métrage de plus de deux heures, pose ses personnages méthodiquement et amplifie son récit jusqu’au final explosif qui remet tout en cause. The Power of the Dog n’est pas qu’un western magnifique, c’est aussi une formidable leçon de narration : à voir !
Phil et son frère George gèrent le ranch des Burbank. Ces deux célibataires vivent dans l’énorme ranch familial et ils s’occupent du troupeau de vaches en famille, menant une vie à l’équilibre précaire. Quand George rencontre Rose et tombe amoureux de cette veuve qui tient un restaurant dans la ville à côté, cet équilibre vole en éclat. Phil suspecte sa nouvelle belle-sœur de n’en avoir qu’après l’argent familial et il fait tout pour lui pourrir la vie. D’emblée, Jane Campion s’attache à brouiller les pistes, en présentant deux frères bien différents. George est propre et soigné, il est aussi empathique et attentionné, tout l’inverse de Phil, bourru, sale et désagréable avec tout le monde. Quand ils mangent dans le restaurant de Rose après avoir mené les bêtes en ville, le contraste entre les deux frères est évident. Plus effacé, George reste dans son coin à bouder, tandis que Phil s’en prend à Peter, le fils de Rose qui est aussi leur serveur, puis aux autres clients dans les lieux. On pourrait avoir l’impression de voir le cliché du cow-boy solitaire face à l’homme moderne, mais c’est une illusion qui tombe quand on apprend que Phil a fait des études de lettres classiques alors que George n’a pas été capable d’atteindre l’université.
Les apparences sont toujours trompeuses dans The Power of the Dog et c’est une vérité qui reste essentielle jusqu’à la toute fin, que l’on ne révélera évidemment pas. Il faut dire que le scénario comme la mise en scène contribuent à perturber le spectateur et ses attentes. On s’attend à ce qu’un arc narratif soit davantage déployé, mais il s’avère que c’est une fausse piste et que la véritable histoire est ailleurs. Quand cette dernière devient apparente, on sait qu’il est question d’amours homosexuelles et d’apprentissage, on s’attend alors à une piste… qui termine aussi en impasse. Jane Campion prend un malin plaisir à nous perdre dans ces immenses espaces américains, souvent filmés à travers une fenêtre comme pour mieux se moquer de notre vue trop étroite. Et malgré tout, en nous donnant tous les éléments pour comprendre et anticiper le drame qui se profile, sans toutefois céder les clés trop vite sur ce qui compte le plus, l’intention du personnage. Le long-métrage se termine brutalement et sans aucune explication supplémentaire, laissant les spectateurs comme sonnés. La bande-originale de Johnny Greenwood, mystérieuse à souhait comme toujours, contribue à cet effet.
Outre le talent de scénariste de Jane Campion, outre sa mise en images sublime, il faut aussi saluer le travail exceptionnel de Benedict Cumberbatch dans le rôle principal. L’acteur s’est pleinement investi, comme pour tous ses rôles, et il parvient à être tout à la fois détestable et magnétique, créant une sorte d’attraction malsaine avec le personnage de Peter comme avec le spectateur. Le succès de The Power of the Dog doit beaucoup à sa performance, même s’il faut noter que tout le casting est impeccable. C’est une réussite à tous les niveaux et vous auriez tort de passer à côté.