Un concert de rock expérimental, voilà qui pourrait effrayer le néophyte qui pourrait y voir une contradiction interne. L’expérimentation a cela de problématique qu’elle conduit parfois, en effet, à une musique très cadrée où, in fine et très paradoxalement, l’expérience libre n’a plus sa place. Écrire une musique complexe, une musique qui ne s’impose pas comme une évidence à la première écoute, c’est prendre le risque de s’enfermer dans cette musique et répéter bêtement le disque sur scène, tel que. Menomena a prouvé ce soir que ce risque pouvait être évité en proposant une musique aussi audacieuse que libre.
Un mot préalable sur la salle. La Flèche d’or, salle cachée aux abords du cimetière du Père-Lachaise, à l’autre bout du XXe arrondissement. La salle détone au milieu du paysage, mélange de vieux immeubles haussmanniens, d’immeubles d’après-guerre et de réhabilitation ultra-moderne à l’image du Mama Shelter, complexe hôtelier et restaurant de luxe fréquenté par tout l’Ouest parisien venu en taxi profiter d’un havre de paix au cœur d’un milieu hostile ((J’ai appris que l’hôtel appartenait en fait à une famille qui est aussi propriétaire de la flèche d’or. Ce qui explique, sans doute, le transfert de gorilles venus d’en face vérifier nos sacs…)). La Flèche d’or, avec son style industriel bien abimé par les années, se fait remarquer. En entrant, on constate avec étonnement qu’il s’agit en fait… d’une ancienne gare. Les voies de chemin de fer (celles de la Petite Ceinture)ce sont toujours là, en contrebas, et on reconnaît, parmi les mauvaises herbes, un quai relié à la gare par un escalier désaffecté. Une ambiance industrielle originale et plutôt sympathique, même si d’après des habitués, le lieu a perdu de son charme suite à une rénovation récente. Si vous allez à un concert à la Flèche d’or, sachez que les concerts annoncés à 20 heures commencent en fait officiellement à 21 heures, et plutôt 21h30 dans les faits. Les tartines hors de prix servies au bar permettront de patienter, mais autant le savoir…
Le concert de ce soir commence avec Junip, le nouveau groupe de José González, chanteur suédois (comme son nom ne l’indique pas, mais il est d’origine argentine) que je découvrais en même temps que son groupe, ce soir. En attendant le début du concert, je discutai avec un photographe qui avait eu l’occasion de le voir en solo sur scène et il me vanta un guitariste solo capable de faire des reprises hors du commun (dont une, que je suppose peu conventionnelle, de Massive Attack). Les cinq membres de Junip se partagent péniblement le petit espace de la scène de la Flèche d’or, José s’assied bien au centre, à quelques centimètres de moi, et la première partie du concert peut commencer.
La musique de Junip est marquée par la voix aérienne de José González, souvent confortée par des chœurs avec ses camarades. Outre sa guitare sèche, on peut entendre un clavier, une basse et deux percussions. Les morceaux commencent souvent doucement, avant de s’amplifier jusqu’à finir dans un déluge de notes assez réjouissant en concert. La structure est classique, mais fonctionne bien, même si on finit par se lasser. Junip n’a qu’un EP à proposer (gratuitement, d’ailleurs) pour le moment, je serai curieux d’entendre ce que l’album donnera à la rentrée, mais en attendant je trouve le dispositif bon, mais limité. La prestation scénique n’est pas leur fort, José restant assis et stoïque de bout en bout.
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L’entracte est l’occasion pour les équipes techniques de vider complètement la scène pour mettre en place tous les équipements pour Menomena. Une opération longuette quand on pense à la quantité invraisemblable de matériel disposé sur une scène pourtant réduite. C’est d’autant plus long que tout passe par la salle, il n’y a manifestement pas de place derrière la scène pour entreposer quoi que ce soit. Menomena finit par monter sur scène. Quatre personnes seulement, dans une configuration étonnante : le batteur est au premier rang à droite, le bassiste et premier chanteur au centre devant, le clavier et second chanteur devant à gauche et enfin le guitariste derrière. Une disposition qui s’explique sans doute par l’arrivée récente du guitariste, et par la configuration de la scène. Après tout, peu importe, si ce n’est que l’on comprend alors mieux pourquoi les batteries sont en général au fond : le son direct de la batterie couvrait partiellement le reste…
Le groupe surprend par sa jeunesse. Le plus vieux ne doit pas atteindre les 35 ans, quand d’autres paraissent avoir une vingtaine d’années. Derrière les claviers, on a même droit à l’archétype du premier de la classe, avec un visage sans aspérité et une voix cristalline. Derrière la batterie, c’est plutôt un spécimen du genre ado rebelle, cheveux longs et visage aussi très jeune. Cette jeunesse évidente tranche nettement avec une musique très mature, bien loin des clichés du rock adolescent et des groupes de lycées. Menomena est un groupe américain composé notamment de Brent Knopf, leader de Ramona Falls. J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais de l’unique album de Ramona Falls, Intuit. Je n’ai découvert qu’ensuite Friend and Foe, troisième album de Menomena antérieur à Intuit. La claque fut moins forte, sans doute parce que l’effet de surprise était forcément passé. Aussi parce que Ramona Falls est plus accessible que Menomena qui va plus loin dans l’expérimentation. Néanmoins, quelques écoutes suffirent à entrer dans un univers riche et complexe.
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Les quatre musiciens sur scène ne sont pas de trop pour reconstituer l’univers musical riche et dense de Menomena. Les instruments se multiplient, on entend du glockenspiel ou du saxophone et très peu de samples, ce qui est agréable puisque cela permet de garder une marge de manœuvre pour improviser, quitte à se planter aussi à l’occasion. Deux Mac sont sur scène et sont manifestement utiles, mais ils ne pallient jamais l’absence d’un instrument. Les morceaux les plus riches s’en trouvent nécessairement modifiés, ce qui est une bonne chose. Les changements brutaux de rythme ou d’ambiance sont à l’ordre du jour, alors que la structure traditionnelle couplet/refrain n’est plus qu’un vague et lointain souvenir. Le concert a défilé rapidement, trop d’ailleurs pour un concert qui s’est terminé bien trop brutalement, sans même un petit rappel (il faut dire qu’il était déjà 23h30). Un plaisir bref, mais constant, que ce soit sur les morceaux connus ou sur ceux que la salle ne connaissait pas (je suppose qu’ils seront sur le prochain album). Une belle démonstration que l’on peut expérimenter et rester accessible.
Les quatre musiciens sont assez statiques sur scène, mais on pouvait difficilement leur en vouloir si l’on prenait en compte le peu de place à leur disposition et surtout l’horrible chaleur qui régnait en ces lieux (que les voisins apprécient un peu de silence, c’est bien compréhensible, mais la chaleur était un vrai problème ce soir). Pas de show à l’américaine donc, mais une ambiance bon enfant très agréable : Brent Knopf est descendu à plusieurs reprises distribuer des glaçons à qui voulait se rafraichir, pendant que le batteur (et instigateur du groupe) Danny Seim et Justin Harris faisaient des blagues tout en réparant la batterie cassée. Joyeuse ambiance donc et plutôt communicative avec un public forcément conquis d’avance (pour voir Menomena sur scène, il faut au moins être fan). Un public plutôt jeune et très polyglotte à en croire les discussions dans la salle : il y avait notamment pas mal d’Américains.
© Rod – Le HibOO
Ce premier concert de Menomena restera comme un excellent souvenir. Certes, il était trop court et on aurait aimé les entendre plus longtemps. Certes aussi, ce n’est pas un groupe de scène au sens où -M- est un artiste de scène. Mais leur musique pourtant complexe passe très bien sur scène grâce au maintien d’une certaine spontanéité qui manque à tant d’autres groupes. Décidément, ce groupe ou plutôt ces artistes, promettent. Leur exigence artistique ne favorisera certainement pas leur accès aux plus hautes sphères du succès, mais j’espère qu’ils persévéreront dans cette voie. Premier élément de réponse avec le prochain album, courant juillet !
Image de couverture : © Rod – Le HibOO