Certains films, pour de multiples et diverses raisons, n’ont pas droit à une sortie en salles. Parfois, ils doivent se contenter de « sorties techniques » dans deux ou trois salles de France et de Navarre. Parfois même, ils ne sortent pas du tout en salles et passent directement à la case DVD. C’est justement le cas de 5150, rue des Ormes, film québécois réalisé par Éric Tessier. Autant le dire, j’ignorais tout du film ou de son réalisateur qui signe là son premier long-métrage de cinéma après avoir réalisé plusieurs séries. Le film, un huis clos au sein d’une famille de psychopathes, est efficace et plaisant. À voir, surtout si on apprécie l’accent québécois.
Yannick est un jeune étudiant en cinéma qui débarque dans une petite bourgade tranquille, quelque part au Québec. Alors qu’il découvre son nouvel environnement à vélo, il a un accident après avoir croisé la route d’un chat noir. S’il n’était pas superstitieux, cet accident à de quoi le devenir puisqu’il le mène tout droit chez les Beaulieu, famille qui est loin de n’avoir aucune histoire dans cette rue des Ormes pourtant si tranquille. Trop curieux, Yannick découvre un prisonnier ensanglanté dans la maison et Jacques Beaulieu, le père de famille, l’enferme alors pour éviter qu’il ne le dénonce à la police. Commence alors une longue période de captivité de plusieurs semaines pendant lesquelles Yannick essaiera d’abord de s’enfuir par tous les moyens, avant d’accepter le défi lancé par Jacques. Ce dernier, champion impossible à battre aux échecs, propose à Yannick un deal : si Jacques perd contre lui, il le libérera immédiatement. Un pari un peu fou, mais qui absorbe Yannick si fortement qu’il en perd peu à peu la raison. Au départ plutôt réaliste, 5150 rue des Ormes évolue ainsi doucement vers le fantastique, alors que la folie semble s’emparer de tous les personnages. Le père se croit investi d’une mission divine et punit tous les « non-justes » qui croisent sa route de conducteur de taxi. Sa femme, un peu simple, veut faire confiance à son mari comme Dieu l’a voulu, et leurs deux filles sont complètement folles, chacune à leur façon. Tous sembler en tout cas parfaitement normal de ramener des personnes à la maison pour les tuer…
Éric Tessier avait manifestement peu de moyens à sa disposition, mais il parvient à faire des choix judicieux pour que son film n’en pâtisse pas. Le choix du huis clos est évidemment le choix le plus visible, même s’il n’est ici pas total. Avec peu de moyens, le réalisateur parvient à créer une véritable tension, et comme dans Captifs sorti récemment, le traitement du son joue ici un rôle important. Les effets numériques qui émaillent le film ne sont pas de trop mauvaise facture et apportent à 5150, rue des Ormes une teinte fantastique bienvenue. Une teinte liée d’abord à la folie, thématique centrale dans le film et qui est bien traitée à coups d’hallucinations culpabilisantes. À la fin, on ne sait plus trop qui, du bourreau ou du prisonnier, est le plus fou, ni même qui a vraiment gagné, au fond. Cette fin finalement assez sombre n’éclaircit pas un film qui offre peu de raisons de se réjouir, tant le portrait brossé est sombre. La religion est pointée du doigt explicitement comme le premier responsable, tant pour le père qui y trouve une justification de ses actes que pour la mère qui y cherche un refuge aveuglant. Tous les personnages sont en tout cas intéressants et sont finalement plutôt éloignés des caricatures qu’ils pouvaient incarner : le père évolue ainsi tout au long du film et finit presque par éprouver de la sympathique pour son prisonnier qui pourrait être le fils qu’il n’a jamais eu et qu’il a toujours regretté. Le film n’est par ailleurs pas vraiment réaliste quand on pense que Yannick est censé disparaître plusieurs mois sans qu’on le trouve ou que la famille Beaulieu a fait disparaître tant de corps sans jamais être inquiétée.
Privilégiant la tension psychologique au gore, 5150, rue des Ormes est un huis clos assez classique, mais efficace qui aurait mérité une sortie digne de ce nom dans les salles françaises. Efficace, doté d’une teinte fantastique mêlée de folie bienvenue, le film entretient une tension en même temps qu’un malaise face à cette famille complètement folle. Une folie manifestement contagieuse et qui s’empare du héros pour finalement troubler les frontières entre victime et bourreau. 5150, rue des Ormes doit aussi son succès au duo d’acteurs qui incarnent ces deux rôles : que ce soit le jeune Marc-André Grondin (que j’avais déjà repéré dans C.R.A.Z.Y.) ou Normand d’Amour au nom qui semble si ironique pour ce rôle de tortionnaire, ils sont tous les deux très bons et apportent beaucoup au film. Le film est proposé dans une version originale et doublée en VF : on recommandera bien évidemment l’originale, même si des sous-titres n’auraient pas été de trop pour ne rien rater des subtilités de cette si belle langue.