Xavier Dolan, 21 ans et déjà deux longs-métrages au compteur. Et pas n’importe quels films : non content d’avoir déjà à son actif deux films, ce jeune surdoué québécois a aussi imposé un style très affirmé, esthétique et maniéré, tout en faisant preuve d’une maturité étonnante dans ses choix de scénario. Dolan prolonge le succès de J’ai tué ma mère avec Les Amours Imaginaires, un film également très maniéré dans lequel le réalisateur ose tout et accepte de laisser un peu de place à l’écran à d’autres acteurs. Un cinéaste à suivre, indéniablement, et un film très plaisant à ne pas rater.
Comme son titre l’indique bien, Les Amours Imaginaires parle d’amour et notamment de fantasme amoureux. Ces amours sont contées sous la forme traditionnelle du triangle amoureux : Francis et Marie, deux amis d’enfance aiment un même garçon, Nicolas. Pour les deux, le coup de foudre fut immédiat : les bouclettes blondes du jeune homme ont été pour ainsi dire fatales. Nicolas n’est pas non plus insensible au charme des deux amis, mais il ne semble pas se décider, ni pour l’un, ni pour l’autre. Les trois passent beaucoup de temps ensemble et si Francis comme Marie ont choisi de feindre l’indifférence, l’illusion ne dure pas. La compétition entre les deux est dès lors inévitable et elle est terrible, à base de coups bas lâchés l’air de rien, ou de coups tout court quand la tension atteint son comble. Face à cette lutte qui le concerne pourtant directement, Nicolas reste assez insensible. Il apprécie certainement Francis autant que Marie, mais est-ce vraiment de l’amour ? Et si les trois dorment à plusieurs reprises dans le même lit, leur relation reste purement platonique et n’ira en tout cas jamais au-delà des caresses. Nicolas finit d’ailleurs par les abandonner tous les deux, et Francis et Marie redeviendront amis contre celui qu’ils ne peuvent malgré tout d’aimer de tout leur être.
Triangle amoureux, certes, mais Les Amours Imaginaires laisse de la place au doute et l’imaginaire du titre prend tout son sens. L’amour est ici surtout à sens unique et laisse donc logiquement une large part aux fantasmes autant qu’aux doutes. Le film de Xavier Dolan interroge l’amour du point de vue de jeunes gens pas encore tout à fait sortis de l’adolescence, au moins dans l’esprit. Ils doutent, cherchent les signes tout en jalousant férocement quiconque prendrait leur place. Ils en deviennent malades, physiquement ou au moins psychologiquement, et sont incapables d’effacer de leur esprit l’être aimé, fut-ce en présence d’un autre homme. Les Amours Imaginaires retrace toutes les étapes stendhaliennes de l’amour, du premier coup d’œil jusqu’à la cristallisation, en passant par les phases de doute. Chacun à leur manière, Francis et Marie aiment Nicolas jusqu’à la folie et ce point commun qui les lie contre celles ou ceux qui voudraient approcher l’objet de leur désir les sépare également. Invités à un anniversaire du beau blond, ils descendent ainsi chacun le cadeau qu’a apporté l’autre avant d’être réconcilié en quelque sorte lorsque Nicolas décide de mettre en même temps les deux cadeaux. Opposition constante qui vire à l’obsession, à l’image de Francis qui en vient à se masturber en mettant sa tête dans des vêtements de Nicolas pour se souvenir de son odeur. Quand Marie ou Francis couchent avec d’autres hommes, ils pensent en fait à celui qu’ils aiment.
J’ai tué ma mère frappait par un style d’écriture à la fois très égocentrique et en même temps étonnamment mature pour un jeune homme de 19 ans. Les Amours Imaginaires reste bel et bien un film de Xavier Dolan et il est également empreint d’autobiographie, ou du moins marqué par l’expérience personnelle du réalisateur qui est aussi scénariste de son film. Le personnage de Francis qu’il incarne est certainement très proche de l’homme qu’il est ou a été. C’est ce qui rend le film très attachant, même si le doute est maintenu et que la fiction est sans doute beaucoup plus présente que dans le film précédent, beaucoup plus centré sur le personnage incarné par le réalisateur. Il faut dire que Xavier Dolan a cédé du terrain dans Les Amours Imaginaires et il n’est plus le personnage principal, mais l’un des personnages principaux. Difficile en effet de décider qui, de Francis, Nicolas ou Marie, est le personnage principal, même si malgré tout on suit plus volontiers Francis, interprété par Xavier Dolan. Ses deux compagnons sont très bien interprétés, que ce soit la « vintage » Marie jouée par une Monia Chokri très versaillaise du Québec, ou que ce soit Nicolas incarné par Niels Schneider qui m’a fait penser à un Louis Garrel blond. Ce dernier fait d’ailleurs une apparition éclair dans le film, preuve certainement que Xavier Dolan a pensé à lui en choisissant son acteur. Notons également que si Xavier Dolan a repris le système des confessions face à la caméra, il a cédé sa place à d’autres personnages, en l’occurrence une série de jeunes qui racontent leurs déboires amoureux. Ces séquences à l’accent québécois à couper au couteau sont très drôles et réussies. Le reste du film est marqué par un ton plus mélancolique qui laisse place à certaines pointes d’humour teinté d’autodérision bien souvent.
Xavier Dolan est un réalisateur que l’on pourrait qualifier, sans jugement négatif, d’esthétisant. Comme quelques réalisateurs qu’il cite d’ailleurs volontiers comme sources d’inspiration — on pense notamment à Wong Kar-wai —, Dolan soigne ses plans, construit soigneusement ses cadres comme un photographe le ferait et il expérimente. Le Québécois n’a pas froid aux yeux et fait des tentatives, quitte à trop en faire, quitte à se tromper. Il abuse ainsi peut-être un peu des ralentis ou des filtres de couleur, mais cela ne gêne finalement pas outre mesure pour peu que l’on se souvienne qu’il s’agit d’un jeune réalisateur qui apprend. Jeune, mais pas manchot et il le prouve avec Les Amours Imaginaires en même temps qu’il forme son propre univers. Un univers qui passe aussi par la musique, avec un goût prononcé pour les décalages entre la bande sonore et ce qui est filmé et un éclectisme affirmé, de Bach (très belles suites pour violoncelle) à Indochine. Si le pastiche n’est parfois pas loin, Xavier Dolan ne fait pas pour autant un film à la manière de, mais propose une touche personnelle bienvenue, notamment par les confessions face à la caméra que l’on évoquait précédemment. Maniéré assurément, Les Amours Imaginaires est néanmoins très plaisant à regarder, le réalisateur ne sacrifiant en aucun cas le fond à la forme. On appréciera ou non cette forme très travaillée qui peut paraître un peu lourde, mais qui ne gêne pas l’histoire et le film. Certains trouveront peut-être que la forme pesante supprime toute émotion, mais je ne pense pas que ce soit le cas. L’émotion est bien là et ce ne sont pas quelques filtres de couleur ou ralentis qui peuvent la supprimer. Il est vrai, par contre, que Xavier Dolan privilégie les implicites et non dits, mais pour moi ce serait bien plus un avantage qu’un inconvénient.
Avec Les Amours Imaginaires, Xavier Dolan confirme le talent que l’on décelait déjà tout à fait dans J’ai tué ma mère. Plus travaillé encore sur la forme, ce nouveau film n’oublie néanmoins pas son scénario. Cette histoire apparemment classique de triangle amoureux se révèle in fine un bon moyen d’évoquer l’amour, le coup de foudre, la déception amoureuse… autant de sujets qui, on le sent bien, tiennent à cœur au réalisateur qui est aussi scénariste et acteur. Mais Les Amours Imaginaires laisse aussi une large place à d’autres personnages et acteurs : sans doute le signe que Xavier Dolan commence à abandonner l’autobiographique et à élargir son horizon cinématographique ? Voilà en tout cas un réalisateur à ne pas perdre des yeux, après ce second essai réussi.
Même enthousiasme chez Alexandre et Nicolas. Rob évoque à raison un film assez gratuit où le nombrilisme du réalisateur est essentiel, mais cet aspect-là ne m’a nullement gêné. Critikat, reconnaissant le génie intuitif du réalisateur, s’interroge néanmoins : et si Xavier Dolan voulait devenir trop vite adulte avec ce film ? amazon