Das Rheingold, Richard Wagner (Metropolitan Opera, 9 octobre 2010)

La tétralogie du Ring de Richard Wagner… une œuvre mythique, un monument de l’opéra, ne serait-ce que par son ambition démesurée et sa longueur. Quatre opéras, environ 14 heures de musique pour la jouer en entier et une œuvre difficilement accessible malgré la renommée de l’air des Walkyries. Pour moi, une œuvre fascinante, que j’ai toujours rêvé de voir à l’opéra. Ce soir, ce fut presque le cas avec la retransmission en direct dans le cinéma du coin de la représentation de Das Rheingold, premier opus de la série, au Metropolitan Opera de New York, rien que cela.

Un mot du dispositif peu commun, mais qui semble appelé à le devenir. Le passage au numérique des salles de cinéma a eu plusieurs conséquences : certaines, comme la 3D, n’ont pas été forcément des plus heureuses, mais d’autres le sont beaucoup plus. Qui dit numérisation dit possible absence de support et donc streaming, c’est-à-dire la diffusion de la vidéo depuis une source externe au cinéma. Si dans quelques années tous les films seront certainement diffusés par ce biais, il ne concerne aujourd’hui que certains évènements comme les opéras. Certains cinémas ont en effet décidé de diffuser des retransmissions en direct depuis des opéras aussi mythiques que celui de New York. Les places sont trois fois plus chères qu’à la normale, mais à ce prix, on peut assister à un opéra en ne payant vraiment rien et en voyant beaucoup mieux qu’en vrai. Certes, rien ne vaut le direct dans la salle, surtout pour de la musique non amplifiée. Mais enfin, une soirée au Metropolitan Opera pour 27 € sans les effets secondaires liés au décalage horaire, cela n’est vraiment pas exagéré, d’autant que la qualité est là. L’image HD est parfaite et les plans serrés permettent de bien profiter de l’histoire. Le son est d’excellente qualité, on entend parfaitement bien les instruments autant que les voix et il n’y a absolument aucun décalage avec l’image. Le direct est en fait en différé d’une trentaine de minutes, ce qui est quand même une performance technique remarquable ; en attendant, on peut profiter d’une plongée dans les coulisses, mais en anglais seulement. Le spectacle proprement dit est correctement sous-titré en français. Si vous aimez l’opéra, mais que vous n’avez pas les moyens d’y assister en vrai, c’est un dispositif que je recommande chaudement. Pour ma part, je suis conquis et compte bien y retourner. Si cela vous intéresse, voici la liste des salles qui participent à la diffusion du Metropolitan Opera en France.

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Assez parlé technique, venons-en à l’opéra. Das Rheingold est le premier épisode de la tétralogie ou l’introduction à la trilogie, selon les points de vue. C’est en tout cas le premier opéra des quatre que Wagner termine, dans les années 1850 et vingt-cinq ans avant de mettre un terme à l’œuvre complète, Der Ring des Nibelungen. Autant dire qu’il s’agit bien d’une œuvre maîtresse, sans doute même l’œuvre d’une vie pour le compositeur allemand. L’or du Rhin l’ouvre et offre une introduction à l’histoire qui sera développée par la suite. Ce prologue précise les origines mêmes du drame : la perte de l’or merveilleux du Rhin. Cet or est volé par le Nibelung (un nain dans les mythes germaniques) Alberich. Le nain en fait un anneau doté d’extraordinaires pouvoirs et qui permet à celui qui le porte de devenir immensément riche. Ce pouvoir inquiète et intéresse les dieux et en premier lieu Wotan, le père des dieux qui récupère l’anneau de force. Alberich, pour se venger, maudit l’anneau et prédit à son porteur le malheur et la perte. Wotan se débarrasse de l’anneau un peu malgré lui et le laisse aux géants en échange de leur aide pour la construction de son château, le Walhalla. Au-delà du récit mythologique, passionnant à plus d’un titre et pas seulement parce qu’un certain Tolkien s’en est beaucoup inspiré, Der Ring des Nibelungen est l’histoire de la disparition du monde des dieux au profit du monde des humains. Si cette thématique est surtout développée par la suite, elle est sous-jacente dans Das Rheingold où le pouvoir de Wotan est remis en cause, tantôt par un nain, tantôt par des géants. Sa lance, symbole de son pouvoir, reste suffisante pour arrêter l’adversité, mais la tension monte.

L’opéra est un spectacle complet qui offre autant à voir qu’à entendre. La prestation sonore de cette représentation du Rheingold fut sans faille sous la direction de James Levine, chef d’orchestre à qui le Met doit pas moins de 2456 représentations. Tous les chanteurs étaient à un très haut niveau, ce qui n’était pas rien étant donné la difficulté que peut représenter la partition wagnérienne, mais aussi la difficulté scénique. Il faut dire que le dispositif imaginé par Robert Lepage est vraiment bluffant : il est à la fois très simple (des bandes blanches sur lesquelles des images sont projetées) et incroyablement complexe. La machinerie nécessaire pour bouger ces énormes dalles blanches est monstrueuse et a d’ailleurs nécessité le renforcement de la scène de l’opéra. Ces dalles se déplacent indépendamment, ce qui permet toutes les configurations : créer un mur avec des portes ou balcons, créer un escalier (ci-dessous) ou encore simuler une surface aquatique (ci-dessous). La projection des images fonctionne parfaitement bien et crée instantanément une ambiance réussie, d’autant que la projection est interactive. En fonction des voix et des gestes, certaines animations apparaissent ou disparaissent : des bulles au-dessus de la tête des sirènes par exemple, ou du feu sous un personnage en mouvement. Cette disposition, à mi-chemin entre minimalisme et décors flamboyants (représentés en quelque sorte par les costumes) fait des merveilles : le spectacle vaut la peine d’être vu rien que pour la mise en scène. Le duo Levine/Lepage s’étant lancé dans un Ring complet, on aura d’autres occasions de revoir ce décor dans le futur (Die Walküre sera la prochaine, le 14 mai 2011… rendez-vous est déjà pris).

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Le bilan de cette première expérience de l’opéra au cinéma est ainsi très positif. Certes, on ne peut espérer retrouver dans une salle de cinéma l’ambiance, les sensations qu’implique une représentation en live et effectivement, les petits frissons que l’on peut ressentir quand on a l’orchestre au grand complet à quelques mètres de soi n’étaient pas au rendez-vous. Néanmoins, je n’aurais jamais pu espérer voir Das Rheingold au Metropolitan Opera sans ce dispositif. Payer 27 € et voir les rides des chanteurs, le tout en direct, c’est quand même exceptionnel. La qualité promise est bien là je ne trouve pas le tarif demandé exagéré. Le spectacle est exceptionnel et passe très bien sur la toile blanche : ce n’est pas pour rien que l’œuvre de Wagner, très expressive, a inspiré de nombreux compositeurs de musique de film. En regardant Das Rheingold, on ne peut qu’être frappé des rapprochements que l’on peut faire avec le septième art, de Star Wars au Seigneur des Anneaux

Le programme du Metropolitan Opera Live HD est très varié et propose des spectacles pour tous les goûts, avec des œuvres plus légères et accessibles, et d’autres moins grand public. Si vous n’avez pas les moyens de vous payer un vrai billet à l’opéra, voilà un moyen efficace et bon marché de voir quand même des opéras.