Le vide, sujet cinématographique difficile à traiter de manière intéressante. Bon nombre de réalisateurs se sont essayés à cet exercice périlleux qui consiste à filmer le néant, sans tomber dans les travers d’une succession de cadres vides sans intérêt. Film après films, c’est peut-être le sujet de prédilection de Sofia Coppola : la jeune réalisatrice adore filmer l’ennui de vies vidées de sens, des personnages qui tournent en rond vainement. Elle confirme cette envie dans Somewhere, primé de la meilleure récompense vénitienne. Un projet ambitieux, trop sans doute, qui n’est pas totalement sans intérêt, mais qui peine en même temps à passionner.
Il n’y a guère plus vide qu’une vie de star hollywoodienne. Pour son dernier film, Sofia Coppola a repris cette idée en filmant Johnny Marco, star grâce à quelques films à succès. Quelques succès, mais une carrière qui semble un peu morte et l’acteur perd son temps à l’hôtel Château Marmont de Los Angeles, célèbre non seulement pour avoir vaguement copié le château d’Amboise, mais aussi, et surtout pour héberger depuis sa création quelques grandes stars, de James Dean à Robert de Niro, en passant par Jim Morrisson. C’est donc l’endroit archétypique pour une star hollywoodienne, à la fois l’endroit où elle se rend forcément, et un endroit complètement caricatural, coupé du monde et de toute réalité. Le champagne coule à flots, les stars s’endorment devant des jumelles stripteases qui ne leur font plus aucun effet quand ils ne tournent pas dans de magnifiques et inutiles voitures de sport sur des circuits fermés. Ils possèdent tout, mais ne profitent plus de rien et Johnny s’enfonce lentement dans ce vaste cauchemar qui semble pourtant si réel. C’est alors que survient un événement inattendu, le retour dans sa vie de Cléo, sa fille de 11 ans qu’il avait pour ainsi dire totalement perdue de vue. Cette jeune fille étonnamment mature pour son âge a été envoyée par sa mère, manifestement dépressive, et ce changement semble autant lui plaire qu’à son père qui, contre toute attente, s’attache à nouveau à sa fille, apprécie le temps passé avec elle quitte à renoncer aux plaisirs faciles que la vie lui réservait.
Le message de Somewhere est ainsi très clair et on pourrait le résumer à la rédemption d’un homme grâce à sa fille. Un sujet intéressant, quoique pas très original, mais qui est quelque peu gâché par son traitement. Étrangement, l’épure souhaitée par Sofia Coppola ne conduit pas à un film simple et effectivement épuré. Bien au contraire, son film paraît très lourd et caricatural. Somewhere semble clamer haut et fort à chaque plan, à chaque minute, son statut de film d’auteur, à tel point qu’il en devient assourdissant. Les symboles sont bien trop appuyés pour ne pas devenir ridicules, le summum étant bien sûr la voiture qui tourne en rond à l’ouverture, et file vers d’autres horizons à la fermeture du film. On a déjà vu plus inspiré pour signifier la vacuité d’une vie… Sofia Coppola semble avoir oublié ses précédents films, tout du moins elle les a beaucoup trop épurés, à tel point que l’on se contente désormais de suivre d’un œil assez distrait la vie de Johnny Marco. Ce qui lui arrive nous est tellement étranger (les problèmes existentiels de ces richissimes acteurs ne nous concernent guère) que l’on est assez indifférent à ce qui se passe à l’écran. Ce n’est même pas vraiment de l’ennui, plus de l’indifférence. Heureusement, le personnage de Cléo est bien plus intéressant que son père et s’il y a bien un élément qui maintiendra éveillés les spectateurs, ce sera bien elle. Elle est pétillante, attachante, amusante, bref un personnage plein de vie qui motive autant son père que le film lui-même. Elle Fanning, la jeune actrice qui joue son rôle, n’est sans doute pas étrangère à son succès, tandis que Stephen Dorff, fade comme l’acteur qu’il interprète, peine à passionner. Cette relation familiale, les commentateurs n’ont pas manqué de le souligner, est bien sûr un écho autobiographique, Sofia enfant ayant aussi un peu souffert d’un père (Francis Ford Coppola, faut-il le rappeler) imparfait, mais malgré tout bon père.
Sur le papier, Somewhere sonnait comme une variation de Lost in Translation. Tout est là apparemment, le couple dans un hôtel, la vacuité de la vie, un style aussi très classe et marqué par un rôle prépondérant de la musique. Mais dans son précédent film, Sofia Coppola filmait Bill Murray et Scarlett Johansson, un couple beaucoup plus fort, drôle et intéressant que celui qu’elle a imprimé sur la pellicule dans Somewhere. Ce dernier se veut plus radical, plus vide, mais il est en permanence à la limite du genre, il est presque trop vide, trop caricatural. The Limits of Control de Jim Jarmush tenait le même parti pris extrême du vide et de l’ennui, mais il assumait plus encore ce parti pris tout en racontant quand même une histoire : l’expérience cinématographique passait mieux. Chez Sofia Coppola, l’impression qui domine in fine n’est pas l’ennui, mais l’indifférence.
Avis partagés sur la toile. Alexandre de Plan-C a un avis très proche du mien, notamment en ce qui concerne le rôle de Cléo. Si Benoît de Laterna Magica a plutôt apprécié le film, il regrette une fin décevante et doute de la capacité de la réalisatrice à se renouveler. Fred de MyScreens regrette aussi ce manque de nouveauté chez la réalisatrice, mais d’autres adorent, à l’image de Pascale de Sur la route du cinéma qui avoue être restée « complètement sur le carreau ». Mention spéciale enfin à l’analyse fort intéressante de Thomas qui a Toujours Raison et qui m’a presque donné envie de revoir le film, pour avoir une chance de l’apprécier autant que lui. Presque.