Un an après l’humour noir de A Serious Man, Joel et Ethan Coen reviennent au cinéma dans un tout autre genre et se risquent à faire un western. True Grit appartient donc à un genre qui a perdu de sa superbe ces dernières années, sans jamais disparaître totalement des écrans. Les frères Coen montrent que l’on peut encore filmer un western, même si on ne peut plus le faire à la manière de Sergio Leone. C’est un western modernisé donc, mais aussi un retour sur un genre et un univers. Brillant.
Les grandes plaines du far-west dans les années 1870 : tel est le cadre de True Grit, cadre archétypique du genre du western s’il en est. C’est un monde impitoyable dans lequel la seule loi qui a vraiment cours est celle du plus fort : les États-Unis ne sont pas encore constitués, la guerre de Sécession se termine à peine et les shérifs peinent à imposer leur autorité. Dans ce contexte mouvementé, Mattie Ross 14 ans se retrouve sans père. Ce dernier a été tué par Tom Chaney, un alcoolique qui a pris la fuite après son méfait et la fille Ross entend bien venger son père. Elle n’a beau avoir que 14 ans, elle est loin d’être une gamine inoffensive. Bien au contraire, elle fait déjà preuve d’une maturité étonnante, presque gênante et elle sait s’imposer autant auprès du banquier qui espérait profiter de sa jeunesse, que de Rooster Cogburn, un U.S. Marshal plus alcoolique qu’héroïque désormais. C’est pourtant cet homme que Mattie Ross va engager pour partir à la poursuite du meurtrier de son père en plein territoire indien, l’histoire se déroulant aux limites du territoire conquis par les Américains. Sa quête de vengeance va néanmoins entrer en conflit avec la quête d’un Texas Ranger nommé LaBoeuf qui poursuit également Chaney, mais pour un crime commis au Texas. C’est donc un trio improbable qui se forme, avec un vieux soldat borgne et alcoolique, une caricature de cow-boy qui se donne surtout des airs et une jeune fille qui se trouve exposée à mille dangers.
L’intrigue de True Grit n’a rien de très original. Le film explore une des quelques pistes du western, à savoir la quête de vengeance qui se traduit par un duel entre deux hommes, ou plutôt deux groupes d’hommes en l’occurrence. Comme dans tout western, la mort est omniprésente et les combats fréquents. Point d’Indiens ici, mais des duels à mort entre les hommes du grand ouest. Par bien des aspects, True Grit ressuscite le genre du western et donne parfois l’impression de le recréer à l’identique. Les frères Coen ont mis un soin tout particulier à créer leurs décors et ce Fort Smith dans l’Arkansas semble vraiment réaliste. On n’est pas ici dans la caricature de western, même s’il arrive parfois que le film joue des codes du genre, avec de larges plans sur les paysages désertiques, le cavalier solitaire dans l’immensité… Mais s’il s’agit indéniablement d’un western, c’est un western modernisé. Le western traditionnel est un genre qui est aujourd’hui bien mort, ou alors il survit sur le mode de la simple redite comme Appaloosa. À l’extrême opposés, certains films ont tenté une relecture du genre avec parfois beaucoup de succès : c’est la conquête de l’or noir avec There Will Be Blood ou c’est la poésie de L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. True Grit se situerait plus entre les deux extrêmes : la reconstitution soignée, le jeu sur les codes se mêlent d’éléments novateurs. Le plus évident est la place de Mattie Ross, une jeune femme de 14 ans qui, par bien des aspects, est le personnage le plus masculin du film. Les femmes sont rarement présentes dans les westerns classiques, ou alors sous la forme de faire-valoir du film (le nom et la photo sur l’affiche) et le rôle féminin est le plus souvent très restreint. Rien de tel dans True Grit où la jeune fille est le véritable moteur de l’intrigue.
True Grit n’est pas que l’histoire classique d’une vengeance, c’est aussi un film d’initiation pour Mattie Ross. Ce voyage qu’elle entreprend avec les deux hommes dans le vide américain, c’est un voyage initiatique, un passage de l’adolescence à l’âge adulte, le temps de la découverte. Si la vengeance de son père reste une motivation essentielle dans le discours, cette justification perd rapidement de sa légitimité, même si la jeune fille n’hésite pas une seconde face au meurtrier de son père. Le voyage a néanmoins beaucoup plus de sens que la simple quête de vengeance et les frères Coen ajoutent une note onirique qui approchent True Grit du conte. Les rencontres étranges se multiplient, à l’image de ce médecin dans une peau d’ours un peu inquiétant, tandis que Mattie doit affronter plusieurs obstacles, de la traversée de la rivière jusqu’à la lutte contre le venin de serpent. Le mystère s’introduit à plusieurs moments dans le film : les deux réalisateurs filment ainsi plusieurs scènes avec un coucher de soleil beaucoup trop caricatural pour ne pas être suspect, alors que l’ultime course sous la lune pleine a des allures d’hallucination. True Grit s’éloigne aussi du western par la touche humoristique si typique chez Joel et Ethan Coen. Ne nous méprenons pas, True Grit n’a rien d’une comédie, mais le film contient de nombreux éléments comiques, par petites touches. C’est de l’humour noir bien entendu, un humour qui, comme toujours, met mieux en valeur encore les faiblesses ou errements du genre humain. Le point d’orgue du film dans le registre comique est indéniablement la négociation entre Mattie et le banquier, une négociation où le vainqueur n’est pas celui que l’on pensait. Au-delà de cette séquence, on rit des conflits un peu gamins entre les deux cow-boys, on rit de l’ancien soldat alcoolique et attachant, des roues dentées ridicules du Texan… True Grit est ainsi très éloigné de l’ambiance d’un western de Sergio Leone, et c’est aussi bien comme cela.
Un film des frères Coen déçoit rarement par une réalisation faiblarde et True Grit ne fait pas exception. La maîtrise technique de ce film est assez bluffante, que ce soit pour les plans larges pour filmer les paysages arides de l’Arkansas ou les plans plus serrés sur les différents personnages. Le scénario est aussi très bien écrit et les dialogues sont un plaisir à écouter et constituent parfois de vrais duels. Le plaisir et le succès du film passent aussi par ses acteurs, tous assez épatants. Retrouver un Jeff Bridges diminué après Tron l’héritage met bien en valeur ses talents d’acteur : il est excellent en justicier bougon, tantôt papy gâteux, tantôt cow-boy héroïque. Matt Damon est méconnaissable, preuve incontestable de son talent d’acteur, et il convainc totalement en Texan ridicule, mais attachant. N’oublions pas Hailee Steinfeld qui interprète une Mattie Ross énergique et très adulte, malgré son jeune âge. Cette jeune fille est indéniablement promise à un bel avenir dans le cinéma…
Les deux frères Coen n’ont plus à prouver leurs talents de cinéastes, tant dans la mise en scène que dans la narration. S’ils avaient tendance à alterner projets sérieux (No Country for Old Men) et comédies plus légères (Burn After Reading), cette tendance semble s’effacer avec leurs deux derniers films. True Grit est ainsi l’histoire très sérieuse d’une vengeance en même temps que l’initiation d’une jeune femme, mais c’est aussi un film teinté de l’humour si caractéristique des frères Coen. Difficile de savoir s’il s’agit d’une tendance générale de leur cinéma, mais toujours est-il que ce True Grit mérite totalement d’être vu. À ne pas rater.