The Company Men est un drame social comme on n’en voit plus guère, surtout au cinéma américain. C’est pourtant ce genre que John Wells replace à l’affiche et le résultat est une bonne surprise. Alors que le sujet est casse-gueule, le cinéaste maintient son film sur la corde raide de son affiche et évite de tomber dans la caricature. Film résolument optimiste, il évite de manière surprenante la mièvrerie et s’avère efficace dans sa dénonciation.
Enfant, Bobby Walker rêvait de l’American Dream et il a atteint ce rêve. Une femme, deux enfants (un garçon et une fille), une grande maison dans une banlieue chic et le jardin qui va avec, une Porsche flambant neuve dans son garage et évidemment une carte au club de golf qui va bien. Diplômé d’une école de commerce, il s’occupe des ventes dans un gros groupe industriel américain et tout semble aller pour le meilleur des mondes pour Bobby. Malheureusement, la crise passe par là et Bobby se retrouve mis à la porte du jour au lendemain avec seulement ses yeux pour pleurer et quelques mois d’indemnités. Son ex-entreprise lui offre royalement de quoi trouver un nouveau job dans l’équivalent de l’ANPE américain (et donc payant) et le voilà qui se retrouve à mendier pour des entretiens qui n’arrivent de toute manière jamais. Les échecs s’accumulent et avec eux les impayés et notre Bobby (re)découvre les malheurs de la pauvreté : il doit vendre sa Porsche, puis sa maison, arrêter son abonnement au golf et même accepter le boulot dans le bâtiment proposé par son beau-frère.
The Company Men suit la chute en enfer de Bobby, mais à travers elle la fin d’un monde, d’une époque. L’entreprise dans laquelle Bobby travaillait est une multinationale qui a commencé dans les chantiers navals. Elle s’est diversifiée depuis, mais il subsistait encore une trace des Trente glorieuses avec une branche industrielle et navale. Les temps ont changé néanmoins et la bourse fait désormais la loi : en période de crise, l’entreprise doit se serrer la ceinture pour rassurer les investisseurs et ce sont les éléments les moins rentables qui sautent. Témoin de cette époque révolue, Gene McClary, un homme fatigué qui a construit l’entreprise à partir de rien des années auparavant avec celui qu’il appelle volontiers son ami d’enfance, le PDG actuel de l’entreprise qui n’hésitera pas à virer son ancien ami quand la rentabilité sera en jeu. John Wells oppose ainsi deux hommes d’une même génération, l’un a compris les enjeux de la modernité et il est prêt à jouer le jeu, quitte à détruire ce qu’il a lui-même construit bien des années auparavant ; l’autre a vu le monde qu’il a connu se déliter, il se sent impuissant et de plus en plus dépassé, mais il refuse le changement. Gene ne conçoit pas que l’on puisse se séparer de 8000 hommes en quelques mois pour remonter le cours d’une action de quelques dollars, pas plus qu’il n’accepte la désindustrialisation de son pays.
Le film de John Wells décrit bien cette perte d’un monde créé avec le New Deal, au cœur de la crise de 1929. The Company Men est aussi un drame humain, l’histoire de ces hommes qui avaient tout et à qui l’on retire tout. Comment gérer la perte d’un emploi qui s’accompagne nécessairement de la perte d’une situation ? Comment garder la face, maintenir un train de vie que l’on ne peut plus se permettre, cacher la vérité aux voisins, aux amis, à la famille ? Comment, en clair, accepter l’échec et ensuite rebondir ? The Company Men s’attache en particulier à trois hommes qui réagissent différemment face à cette situation de crise. Bobby est celui qui souffre le plus de la situation, il était riche, mais pas au point de mettre suffisamment de côté en cas de problème et il doit tout abandonner. Il trouve néanmoins le courage d’avancer, en grande partie grâce à l’amour et la compréhension de ses proches. Gene, lui, souffre le moins de son rejet, il est financièrement à l’aise et pourrait finir sa vie confortablement avec ce qu’il a, mais il n’accepte pas ce sentiment d’avoir détruit tout ce qu’il avait créé et il va se battre pour créer quelque chose d’autre. Le dernier, Phil Woodward, est dans une situation intermédiaire, mais c’est psychologiquement qu’il vacille face à cette situation difficile. L’ensemble peut paraître schématique et simpliste et il est vrai que The Company Men est un film simple, mais il n’est pas caricatural pour autant. Les choses sont plus complexes qu’elles n’y paraissent, la famille de Bobby laisse entrevoir des failles qui pourraient remettre en cause son équilibre, alors que la femme de Gene évoque elle aussi une vente de la maison et que son mari se réfugie dans les bras d’une autre.
John Wells est parvenu miraculeusement à éviter la caricature du « feel good movie », ou au contraire celle du drame social plombé. Le scénario n’y est pas étranger : dans ce travail d’équilibriste assez réussi entre plusieurs tendances, il instaure un climat de confiance et de réalisme qui contribue à la crédibilité des personnages et de la situation. The Company Men doit également beaucoup à ses acteurs et à la sobriété de la réalisation. Tommy Lee Jones confirme ici tout son talent et il est excellent dans ce rôle de vieux patron fatigué par un monde qu’il peine à comprendre. Ben Affleck est d’une sobriété parfaite, une condition indispensable pour ne pas nuire à des scènes à l’intensité dramatique plus marquée. John Wells a parfaitement compris qu’en faire des tonnes n’était jamais une bonne idée pour émouvoir et il réussit à rendre ses personnages attachants. On ne racontera pas la fin, mais elle fait vraiment plaisir à voir, sans tomber pour autant dans le happy-end un peu niais que l’on aurait pu craindre.
Bonne surprise que ce film de John Wells. Sur le papier, The Company Men laissait craindre le pire, un mélo larmoyant ou au contraire un film pour se sentir bien à l’optimisme forcé. Le résultat est finalement plus subtil, sans être d’une complexité ou même d’une originalité folle. Le film est simple, en effet, mais pour une fois c’est indéniablement une qualité et il s’avère finalement assez convaincant dans la dénonciation de certaines pratiques moralement douteuses, comme les salaires extrêmement élevés des chefs d’entreprise, ou les licenciements aussi abusifs qu’inutiles. John Wells n’obtiendra pas la palme de l’originalité pour The Company Men, mais son film est très efficace et mérite d’être vu.