Stanley Kubrick est un cinéaste passionnant et fascinant à plus d’un titre. Pendant sa longue carrière, il a réalisé somme toute peu de films : treize longs-métrages, quelques documentaires préalables, deux projets inachevés… Mais en cinquante ans de carrière et avec un grand nombre de films qui ont marqué l’histoire du cinéma, Stanley Kubrick n’est pas un cinéaste comme les autres. Réalisateur exigeant et ambitieux, il a toujours cherché à proposer des films marquants, des chefs-d’œuvre qui resteront, quitte à être en décalage avec son époque. Ce fut ainsi à plusieurs reprises un précurseur, avec bien sûr le point culminant de 2001, Odyssée de l’espace qui a initié la science-fiction moderne au cinéma, quelques années trop tôt.
La Cinémathèque française rend à son tour hommage au cinéaste. Ce n’est pas une exposition originale, mais le haut lieu du cinéma en France héberge pour quelques mois (jusqu’en juillet) l’exposition qui a déjà fait le tour du monde, de Berlin à Melbourne, en passant par Rome, Zurich ou Gand. Stanley Kubrick était un collectionneur de son propre travail, si bien qu’une exposition riche et complète sur son œuvre pouvait facilement être mise en place. C’est effectivement le cas de cette exposition qui, à défaut de livrer tous les secrets du cinéaste, offre un aperçu du travail de Stanley Kubrick. Passionnant.
L’exposition suit sans surprise un ordre chronologique. Construite sur deux étages, elle laisse le premier à tous les films de Kubrick jusqu’à Shining ; l’étage supérieur aura droit aux deux derniers films du réalisateur ainsi qu’à ses projets inachevés. Une disposition simple, mais qui se révèle très efficace pour comprendre l’évolution du cinéma de Kubrick. Juxtaposer ses films par ordre chronologique permet de comprendre pourquoi le cinéaste participe à Spartacus après Les sentiers de la Gloire (Kirk Douglas, acteur principal du second, est aussi l’acteur principal et le producteur du premier). On comprend aussi mieux Shining, film plus grand public qui suit deux films aussi magistraux que boudés par le public, 2001, Odyssée de l’espace et Barry Lindon. Évolutions et principes immuables : la guerre et la dénonciation de son absurdité constituent un thème central qui parcourt toute son œuvre. Il est au cœur des Sentiers de la gloire et de Docteur Folamour dans les années 1950 et 1960, mais on le retrouvera dans Full Metal Jacket à la fin de sa vie et il était déjà là dans Fear and Desire, son tout premier film. Autre thème central que cette exposition met bien en valeur : l’échec d’un projet. Échec de l’homme contre la machine dans 2001, Odyssée de l’espace, échec de la société contre la violence dans Orange mécanique ou encore échec de l’ascension sociale de Barry Lindon.
La chronologie met également bien en valeur les évolutions de l’homme, tant sur le plan physique que sur sa vision du septième art, ou encore sa manière de travailler. Kubrick a renié Fear and Desire, au point d’entrer dans une quête maladive pour en supprimer toutes les copies, si bien que son tout premier film est impossible à voir aujourd’hui. Il a travaillé sur un gros projet hollywoodien avec Spartacus, avant de partir en Angleterre pour gagner un peu de liberté. N’hésitant pas à se rendre sur le terrain dans un premier temps, il opère un repli vers le studio : Shining a été tourné pratiquement entièrement dans un hôtel de studio, même les scènes au Canada qui ouvrent le film n’ont pas été tournées par Kubrick qui a préféré rester dans son studio anglais et envoyer ses consignes. Le film suivant, Full Metal Jacket, sera tourné en décor naturel, mais là encore en Grande-Bretagne, dans une ancienne usine désaffectée, et non au Vietnam. Autre évolution significative, Stanley Kubrick change totalement sa façon de concevoir un film. Alors qu’il commence sa carrière avec des films très préparés à l’avance et avec un calendrier globalement respecté, il prend de plus en plus de retard, cherche toujours plus la perfection quitte à faire répéter plus de 80 fois la même scène à Jack Nicholson dans Shining. C’est avec Eyes Wide Shut que le paroxysme est atteint, le cinéaste demandant à ses deux jeunes stars un contrat exclusif sans date de fin : le film a finalement nécessité 52 semaines de tournage, sans compter les jours de pauses… Plus le cinéaste avance, plus ses scénarios se simplifient et plus le film s’écrit en direct, pendant le tournage.
Ce sens quasiment maladif de la perfection s’accompagne d’une extrême discrétion de la part de Stanley Kubrick. Le cinéaste a refusé la majeure partie des interviews, choisissant quelques journalistes ou critiques à qui il accordait des suggestions, plus que des réponses. L’exposition n’apporte pas beaucoup plus d’éléments, même si on peut observer l’arrière du décor, les dessins et maquettes de préparation pour les films, les moyens techniques novateurs mis en place pour tel ou tel film. De nombreux objets mythiques (la canne d’Orange mécanique, la hache de Shining, le casque de Full Metal Jacket) parsèment aussi l’exposition, ainsi que des documents originaux, tels que les scénarios annotés de la main de Kubrick. Le spectateur en quête de réponses n’en trouvera pas vraiment, si ce n’est des indices, des fragments d’idées ici ou là. Le film qui reçoit le plus d’éléments est sans surprise 2001, Odyssée de l’espace : on y trouvera les maquettes des vaisseaux, du studio tournant, mais aussi des explications sur l’utilisation des marques ou encore sur la méthode utilisée pour la période préhistorique. Aucune réponse, cela dit, sur le film lui-même, sur son sens, là n’est pas le propos de l’exposition. Attention toutefois, l’exposition n’est pas sans spoiler : si vous n’avez jamais vu les films de Kubrick, attendez-vous à découvrir sans le vouloir quelques fins (cela peut être assez gênant, par exemple pour The Shining).
Si vous aimez les films de Stanley Kubrick et que vous habitez à proximité de Paris, n’hésitez pas trop longtemps et ruez-vous à la Cinémathèque française. L’exposition connaît apparemment un franc succès, mais l’attente en vaut la peine. Même si ce n’est pas une obligation, les explications sur chaque film étant assez claires, il est préférable de connaître au moins une partie de la filmographie du cinéaste. L’intérêt pour les éléments présentés dans cette exposition dépend en partie de la connaissance du cinéma de Stanley Kubrick.