Fidèle à son habitude, Woody Allen propose son film de l’année et poursuivant une tendance commencée en 2005 avec Match Point, mais interrompue l’an dernier avec Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu et l’année d’avant avec Whatever Works, le cinéaste new-yorkais a tourné en Europe. Après Londres, après Barcelone dans Vicky Cristina Barcelona, c’est au tour de Paris d’accueillir les caméras de Woody Allen. Minuit à Paris est une comédie légère teintée de fantastique et bourrée de clichés. Un film sympa grâce au talent d’écriture du cinéaste essentiellement, mais un film assez vain…
Gil et Inez doivent bientôt se marier. Lui écrit des scénarios pour Hollywood, mais rêve de devenir un grand écrivain et tente d’écrire son premier roman. Elle… est surtout fille à papa, homme d’affaires manifestement extrêmement riche. Alors que papa vient signer des contrats importants à Paris, les deux fiancés viennent visiter la célèbre capitale. Gil est fou amoureux de Paris, il y a vécu quelques années, avant de partir pour Hollywood écrire ses scénarios et on sent bien qu’il regrette amèrement ce choix. Sa fiancée est néanmoins beaucoup moins enthousiaste que lui, elle ne voit pas vraiment la beauté dans cette ville bizarre et elle se sent beaucoup mieux aux États-Unis, seul endroit où elle pourrait vivre comme elle le dit clairement à son chéri quand celui-ci émet l’hypothèse d’habiter Paris après le mariage. Le couple tombe par hasard sur un couple d’amis d’Inez. Cette dernière est indubitablement attirée par Paul qui vient donner un cours à la Sorbonne. Cet homme cultivé est surtout très pédant et il agace profondément Gil qui finit par en avoir assez et préfère laisser sa fiancée et aller se promener dans Paris. Minuit passe, une voiture des années 1920 arrive et embarque Gil… pour le Paris des années 1920, celui qu’il a toujours rêvé de vivre. Le manège se répète nuit après nuit et Gil finit par perdre tout intérêt pour le présent.
Paris est indéniablement une ville à part dans l’imaginaire collectif, en particulier pour les Américains. La ville est entourée d’une aura assez surprenante quand on connaît le Paris du quotidien. Quand Woody Allen filme Paris, il ne filme pas vraiment la capitale française, mais plutôt la capitale telle qu’on se la représente sans doute à l’étranger. C’est un Paris fantasmé que nous présente Minuit à Paris et aucun des clichés que l’on pouvait attendre ne sont oubliés. On aura donc droit à un tour (quasiment) exhaustif des monuments parisiens, aux Français qui ne parle pas un mot d’anglais, à ceux qui portent des bérets, aux objets anciens et hors de prix qui plaisent tellement aux riches Américains, etc. Cet aspect est tellement important dans le film que Woody Allen a sacrifié son traditionnel générique d’entrée, avec son fond jazzy et ses lettres blanches sur fond noir dans une police vieillotte. Le générique est toujours là, mais il est précédé d’une série de plans fixes censés résumer Paris, le tout sur fond de jazz. Paris, ville par excellence du romantisme, est ici le cadre à une histoire d’amour sans grande originalité, mais tout à fait dans le ton des films alleniens et à cet égard plutôt réussie. Gil n’aime pas Inez et encore moins ses beaux-parents, c’est évident. Les meilleures scènes du film sont d’ailleurs celles où le futur beau-fils est avec sa future belle-famille, ou bien les scènes avec Paul. Ce dernier est vraiment un excellent personnage, agaçant au possible. Côté jour, Minuit à Paris est ainsi dans la moyenne de ce que propose Woody Allen depuis de nombreuses années ; c’est sans grande originalité, mais les dialogues incisifs fonctionnent bien et c’est assez drôle.
Côté nuit, les choses se gâtent, malheureusement. Minuit à Paris contient une tendance fantastique plutôt rare dans le cinéma de Woody Allen et le résultat est assez étonnant. Le film ne dit jamais si Gil rêve ou s’il a vraiment vécu ce que l’on voit puisque le cinéaste a le bon sens de se contenter de passer d’un univers à l’autre brusquement, sans donner plus d’explication. Les 12 coups de minuit orientent néanmoins le film vers le conte, mais avec cette fois un fois un prince et une Peugeot du début du siècle dernier, et non pas une princesse et une citrouille. Cet univers parallèle permet à Gil de rencontrer des dizaines de stars, des écrivains, peintres ou encore cinéastes devenus extrêmement célèbres par la suite. On croisera donc en vrac Hemingway, Fitzgerald, Picasso, Buñuel, Dali ou encore Degas et Toulouse-Lautrec. Le principe est plutôt amusant, mais vraiment trop répétitif : on en vient à se demander, un peu las, quelle sera la prochaine star que Gil pourra rencontrer. Ce défilé de stars n’apporte finalement pas grand-chose, pas plus d’ailleurs que toute la partie dans la nuit. D’accord, ces hommes et femmes du passé encouragent Gil à persévérer sur sa voie, avant de l’inciter à revenir à son époque, mais… c’est à peu près tout. Le film laisse un peu sur sa faim : nonobstant le côté plaisant de voir ces figures du passé ressuscitées avec plus ou moins de succès (mention spéciale pour un très bon Dali, Hemingway est pas mal aussi), Minuit à Paris s’avère in fine assez vain. L’humour noir de Woody Allen, sa vision désenchantée de la vie ne sont que présents par bribes, et c’est assez regrettable.
Minuit à Paris propose un Paris de carte postale, filmé de façon assez quelconque par un cinéaste que l’on a connu plus inspiré, même si les plans de nuit sont joliment tournés. Woody Allen reste par contre indéniablement un scénariste de talent et ses dialogues sont toujours un plaisir à écouter. Le cinéaste s’amuse à jouer sur les accents, l’anglais fluide des Américains se mêlant à celui plus hésitant des Français. C’est classique, mais efficace ici. Minuit à Paris est aussi un film d’acteurs, avec une myriade assez bluffante, il est vrai, de stars. Owen Wilson est en permanence à l’écran et il se débrouille bien dans ce rôle d’écrivain décalé qui semble toujours ailleurs. Dans la liste, Michael Sheen excelle dans son rôle de pédant lourdingue tandis qu’Adrien Brody propose un Dali inspiré. Le reste va du moyen au carrément grotesque : Gad Elmaleh arrive vraiment comme un cheveu sur la soupe, mais son rôle est quasiment nul. On n’en dira pas autant de notre première dame de France : Carla Bruni apparaît à trois brèves reprises durant le film, mais c’est déjà largement suffisant pour mesurer son absence totale de talent en tant qu’actrice. Le film aurait gagné à purger sa liste de stars et guest-stars, il donne un peu l’impression en l’état que Woody Allen a trouvé une petite place pour tout le monde au lieu de chercher les acteurs parfaits pour un rôle donné. Carla Bruni semble n’être là que pour avoir son nom sur l’affiche, ce qui est tout de même bien triste.
Comme dans tous ses films, Minuit à Paris parle bien évidemment d’abord et avant tout de Woody Allen lui-même. Gil, ce scénariste qui rêve d’abandonner est une incarnation du cinéaste lui-même et on se dit que le Woody d’aujourd’hui regrette peut-être de ne pas avoir tout plaqué pour s’installer à Paris dans sa jeunesse. Un sujet qui ne manque pas d’intérêt… mais qui n’aboutit à rien d’intéressant dans Minuit à Paris. Les clichés sont bien trop présents et insistants, l’histoire bien trop peu intéressante, le film semble bien trop vide et vain pour convaincre.
Inutile de le nier, Woody Allen sait réaliser un film plaisant et efficace et on passe un moment plutôt agréable, d’autant que le film a la bonne idée d’être court. C’est un Allen très mineur à mon avis, ce qui explique mon incompréhension totale du déluge de critiques enthousiastes, que dis-je, dithyrambiques, à l’image de celui de Télérama. Une fois de plus, je me retrouve plus chez Critikat qui évoque très justement le musée Grévin pour les passages dans le passé. J’aurais aimé voir de l’autodérision dans les clichés et écrire que Woody Allen évite le piège carte postale, mais rien n’y fait, je ne me suis pas laissé emporter. Je suis bien le premier à le regretter… Vivement le Woody Allen 2012.