L’Aigle de la Neuvième Légion a été réalisé « par le réalisateur du Dernier roi d’Écosse », comme l’affiche ne manque pas de le rappeler. Kevin MacDonald passe donc du quasi-biopic au péplum… du moins sur le papier. Cette quête au-delà du monde antique connu éloigne rapidement le film du péplum qu’il aurait pu être, au profit d’une quête qui n’est pas sans rappeler certains westerns crépusculaires. L’Aigle de la Neuvième Légion est un film assez surprenant, très esthétique et aussi plaisant que passionnant. À voir.
Fraichement promu centurion, Marcus Aquila choisit la Bretagne pour son affectation. En 140 avant Jésus-Christ, l’actuelle Grande-Bretagne signifie la limite du monde connu pour Rome. Le mur d’Hadrien vient tout juste d’être construit pour isoler l’empire de ces barbares qui ne plient pas devant la puissante Rome. Autant dire que ce n’est pas l’endroit rêvé pour faire carrière dans l’armée romaine, mais Marcus a choisi cet endroit pour une raison très précise. Une vingtaine d’années plus tôt, son père alors aux commandes de la neuvième légion romaine a perdu sa légion entière, soit 5000 hommes, mais aussi, et surtout, l’aigle impérial. Cet aigle en or n’est pas un simple bout de métal, il symbolise à lui seul Rome. Le perdre et le laisser aux mains des barbes, c’est le déshonneur qui s’abat sur toute la famille. Vingt ans après, cette perte n’a pas été oubliée et Marcus n’a qu’une envie : rétablir l’honneur de sa famille. Quand il apprend que l’aigle aurait été vu près du mur, il part à sa quête avec seulement Esca, son esclave breton. Un dangereux périple pour récupérer l’Aigle de Rome, mais aussi pour apprendre la vérité sur son père…
L’Aigle de la Neuvième Légion commence comme un péplum assez classique, même si la mise en scène s’éloigne d’emblée des canons du genre. Reste que l’histoire commence sans surprise : un jeune centurion prend la relève dans un camp retranché romain non loin de la limite de l’empire. Le jeune homme décide de remettre en état son camp et ses troupes l’adorent quand il sauve le camp par son intuition, lors d’une attaque nocturne. Classique, mais extrêmement réaliste et même violent : on ne fait plus de péplum comme à l’époque de Spartacus, surtout quand on se nomme Kevin MacDonald. Le cinéaste rappelle pendant cette première séquence qu’il vient du documentaire, tout en utilisant une photographie extrêmement travaillée qui tranche avec cette recherche du réalisme. Sans chercher à tout prix le spectaculaire et encore moins l’épique, le film propose plutôt des combats extrêmement intenses et prenants. La sortie des hommes qui viennent sauver d’autres soldats en formant une tortue est assez impressionnante, d’autant que l’on y croit vraiment. Si ce camp retranché ressemble à s’y méprendre à ceux qui entourent le village gaulois d’Asterix et Obélix, la comparaison s’arrête vite. Le camp construit solidement en bois concentre hommes sales et épuisés qui luttent pour leur survie. Les Bretons ne sont pas comme les Gaulois, ils ne se contentent pas d’assommer les Romains, ils les éventrent à coup de hache. Ambiance différente… que l’on retrouve aussi dans ce combat dans une arène en bois bien loin de l’image splendide que l’on peut en avoir, mais aussi bien plus réaliste.
Si L’Aigle de la Neuvième Légion commence comme un péplum ultraréaliste, le film change brusquement de genre au passage du mur. Quand le centurion et son esclave quittent la civilisation, ils entrent dans un univers totalement différent, dangereux, parce qu’imprévisible, un univers où des clans armés jusqu’aux dents et ayant une connaissance parfaite du terrain font la loi. Un Romain n’y survivrait pas longtemps et Marcus est obligé de faire entièrement confiance à Esca. Le rapport de force entre les deux hommes finit logiquement par se troubler : si le Romain avait droit de vie et de mort sur son esclave dans l’Empire romain, c’est Esca qui prend le dessus et finit même par faire de Marcus son esclave dans ces contrées barbares. Entre les deux hommes, un rapport nouveau fait son apparition au fur et à mesure qu’ils s’enfoncent toujours plus vers le nord, un rapport d’amitié trop fort pour qu’il n’en devienne pas un peu ambigu, même si le film ne permet jamais de valider la thèse d’un amour homosexuel. Kevin MacDonald ouvre en tout cas une réflexion intéressante et inattendue sur les rapports de domination, en même temps que sur la puissance tout court. Rome est censée être à son apogée, mais les Romains semblent aussi barbares que les peuples qu’ils nomment ainsi. Qui est le maître libre et qui est l’esclave ? À bien des égards, l’Empire romain est présenté ici comme une domination des corps, mais aussi des esprits et la quête semble finalement libérer Marcus, à tel point qu’on est en droit de se demander à la fin du film s’il ne préférerait pas retourner au-delà du mur. Quête initiatique donc, L’Aigle de la Neuvième Légion est aussi une longue marche aux accents désespérés, qui évoque tantôt Le Seigneur des Anneaux (les paysages écossais évoquent la Nouvelle-Zélande filmée par Peter Jackson), tantôt La Route.
Une ambiance que l’on n’imaginait pas trouver dans un péplum et pour cause, L’Aigle de la Neuvième Légion s’est transformé subitement en western, tendance crépusculaire. S’il est un film qui s’approche de celui de Kevin MacDonald dans ce genre, c’est bien L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Les thèmes n’ont bien sûr rien à voir, pas plus que les époques, mais les deux films sont réunis par la même recherche esthétique et par le même désir d’onirisme dans la façon de filmer les paysages. Le résultat est vraiment très réussi, les jeux sur les lumières, sur les couleurs automnales des paysages, les figures en ombres chinoises, tout cela est très plaisant, à défaut d’être forcément novateur. On pourra trouver cela emprunté et un peu superflu, mais le cinéaste a su trouver un équilibre et il n’en fait pas trop au point de nuire à son récit. L’Aigle de la Neuvième Légion doit aussi sa réussite à son duo d’acteurs principaux : Channing Tatum autant que Jamie Bell sont parfaits, avec un jeu toujours juste et fin.
Bonne surprise pour L’Aigle de la Neuvième Légion… La bande-annonce laissait envisager un péplum violent et un peu vain, mais il n’en est rien. Kevin MacDonald commence son film comme un péplum ultraréaliste, avant d’aller vers autre chose. Vers une quête de soi, un road-trip étonnamment désespéré empli d’une franche amitié que l’on n’attendait pas forcément. L’Aigle de la Neuvième Légion est aussi un film sur un empire qui n’est pas forcément le plus puissant et le plus civilisé, une dimension politique qui n’empiète pas sur le récit personnel, mais qui ajoute une épaisseur bienvenue à l’ensemble. En bref, un film à découvrir…