C’est encore peu de dire qu’il était attendu. The Tree of Life, le cinquième film de Terrence Malick en 38 ans de carrière intriguait quand on n’en savait encore rien, par la rareté du cinéaste, mais c’est sa bande-annonce qui a sans doute provoqué le plus d’attentes. Une bande-annonce mystérieuse, très belle autant par ses images que par sa musique et en même temps annonciatrice d’un film ambitieux, immensément ambitieux, démesurément ambitieux même. Un film sur la vie, la mort, rien que cela. Seul un cinéaste de la trempe de Terrence Malick pouvait s’aventurer sur un tel terrain et sa bande-annonce ébouriffante laissait espérer que son dernier film soit, à nouveau, un très grand film.
« Il y a deux voies dans la vie, celle de la nature et celle de la grâce. » D’emblée, le dernier film de Terrence Malick impose au spectateur l’immensité de son sujet. Un sujet totalement démesuré qui vient immanquablement déstabiliser quiconque ose entrer dans une salle pour voir The Tree of Life. Comme le titre de son film l’indique, Terrence Malick s’attaque à rien de moins que… le mystère de la vie. Remontant au big-bang, il propose sa vision de la vie et de l’Homme. Pendant près de deux heures trente, le cinéaste nous propose de le suivre dans un périple tantôt sublime, tantôt étouffant, souvent incompréhensible, toujours d’une richesse à couper le souffle. The Tree of Life fait partie de cette catégorie de films qui ne peut laisser indifférent. On peut se laisser emporter par l’arbre de vie, ou au contraire rester sur le côté à observer des images boursouflées. Il n’y a pas de bonne réponse, seulement la volonté d’accepter de se laisser porter ou non.
Il est vain de chercher à résumer The Tree of Life. Le film dispose d’un synopsis, certes, mais le film ne saurait être réduit à ce bref descriptif. Disons-le, The Tree of Life est un film sur la vie, rien de moins. Pour illustrer ce sujet immense, Terrence Malick a choisi de filmer une famille américaine typique dans le Texas des années 1950. Un père de famille ingénieur, sa femme mère au foyer qui élève trois garçons. Fidèle à son habitude, Terrence Malick fait varier les points de vue et multiplie les monologues intérieurs. Au moins trois personnages ont droit à de tels monologues, le père et la mère et celui que l’on peut qualifier de héros du film, même si c’est largement exagéré, Jack, ainé de la famille. Le film est d’ailleurs ouvert et fermé par un Jack devenu adulte et qui se souvient de son enfance. À cet égard, The Tree of Life est un long flash-back sur son enfance, un flash-back causé par une sorte de mélancolie qui touche cet homme que la vie semble avoir comblé. Jack souffre néanmoins et comme on ne tarde pas à le comprendre, il souffre de l’absence cruelle de son petit frère, mort bien des années auparavant. The Tree of Life opère donc un flashback sur une famille assez typique, très pieuse, mais le film ne s’arrête pas là. Terrence Malick va ainsi beaucoup plus loin en remontant au big-bang et à la naissance de la vie, jusqu’à la disparition des dinosaures. Une longue séquence qui ne peut que rappeler 2001, Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick nous amène ainsi dans un magnifique ciel étoilé où le cinéaste américain semble chercher l’origine de la vie.
Déstabilisant. C’est bien le mot qui convient pour qualifier The Tree of Life. Derrière cette histoire de la vie, Terrence Malick ajoute une dimension spirituelle, pour ne pas dire religieuse. Comment trouver un sens à une vie ? La nature est aussi belle qu’impitoyable, elle tue même les meilleurs sans crier gare, elle enrichit certains et appauvrit les autres. La spiritualité est une possibilité offerte par le film à ses personnages, mais là encore la religion ne répond pas à toutes les questions. Si Dieu est bon, pourquoi punit-il aussi les bons et les faibles ? Quel sens donner à ce petit garçon mort noyé dans la piscine ? Pourquoi lui ? Pourquoi le deuxième fils doit-il mourir à 19 ans seulement ? Comment continuer à vivre quand son fils est mort ? Où trouver un sens à cette vie-là. Autant de questions soulevées par Terrence Malick, sans que son film n’apporte nécessairement de réponses d’ailleurs. Les réponses ne sont pas vraiment un enjeu dans l’œuvre du cinéaste qui le rappelle ici de bout en bout. The Tree of Life n’est pas une solution miracle à chercher dans la spiritualité ou au contraire dans l’adoration de la nature, même si le film semble donner un début de réponse avec l’amour, ingrédient indispensable pour donner du sens à sa vie. Difficile de savoir néanmoins si le film va vraiment dans ce sens : The Tree of Life n’est définitivement pas un film à comprendre, c’est un film à prendre comme il est. Et s’il n’y avait finalement aucun sens à tout cela ? Que signifie la fin, s’agit-il du paradis ? Mais alors pourquoi le film prend-il la peine de rappeler que Jack est vivant. L’est-il seulement ? Finalement, The Tree of Life ne dit jamais quel est le fils mort, ce n’est que le spectateur et sa logique qui mettent un nom sur ce mystère…
Frustrant. Indéniablement, The Tree of Life l’est aussi. Si la trame narrative n’a jamais été très dense chez Terrence Malick — dans La Ligne Rouge par exemple, le contexte historique est très rapidement évacué pour ensuite passer à autre chose – elle disparaît presque totalement ici. The Tree of Life n’est pas vraiment difficile à comprendre pour peu que l’on accepte de se laisser porter. Même si la séquence sur la naissance de la vie n’est pas entièrement justifiable — elle peut sembler un peu longue —, l’histoire de cette famille occupe une place largement supérieure qui offre au spectateur de quoi comprendre, un fil rouge beaucoup plus présent et compréhensible que le monolithe de 2001 : l’odyssée de l’espace par exemple. Les dialogues sont réduits à leur plus simple expression dans le film, mais Terrence Malick réussit par la simple juxtaposition d’images, à faire passer son message. Le procédé est vraiment réussi, même s’il est parfois agaçant : à trop accumuler de belles images de la nature, Terrence Malick donne de temps à autre le sentiment de remplir son film avec des images de documentaires. C’est très beau, certes, mais c’est parfois un peu lourd (mieux vaut aimer les cimes d’arbres). En fonction des affinités, on se raccrochera aux branches du récit familial, ou on se laissera porter par les images de la nature. Essayer de leur donner un sens est assez vain : on comprend que Malick veut montrer à quel point la nature peut être cruelle et terrible, mais il s’attache aussi à montrer la bêtise de la civilisation avec les scènes de bureaux quand Jack est adulte. S’il met en avant la grâce divine, il ne met pas la religion en avant pour autant, même si la musique religieuse est omniprésente et si plusieurs scènes se déroulent pendant un office. Terrence Malick ne se fait pas apôtre d’une religion, voire d’une secte, du moins je ne crois pas. C’est plus une vision certainement sincère de la vie, nourrie sans doute par la sienne (le film a été tourné au Texas d’où vient Terrence Malick). Une vision nécessairement ambitieuse et même au-delà de l’ambition.
Enivrant. La bande-annonce de The Tree of Life était déjà enivrante par la quantité d’images différentes proposées en un temps assez court. Le montage extrêmement rapide fait virevolter les plans très brefs qui se résument presque à des couleurs, à des formes. Le film est aussi un peu comme ça, de manière assez surprenante. Terrence Malick maintient pendant toute la durée de son film un montage sec et rapide, avec des séquences en général assez brèves, coupées brutalement, sans transition, entrecoupées de temps à autre d’un fond noir. Le matériel accumulé pour le film a sans doute été colossal et le travail de montage du film plus important encore. Alors que les précédents films du cinéaste étaient plutôt posés, The Tree Of Life a de quoi donner le tournis par la richesse de son contenu. Le spectateur n’a jamais le temps d’apprécier ce qu’il voit, le film est déjà passé à autre chose. Là encore, cela peut être vécu comme une frustration si on cherche à tout comprendre, mais l’effet est totalement différent en se laissant porter. On découvre alors des vignettes, de brefs instants, de brefs morceaux de vie qui cumulés tentent de condenser la vie, tout court. Mission réussie ou non, Terrence Malick montre là l’étendue de son talent : réussir à mettre autant de choses dans un film, c’est déstabilisant, c’est enivrant, c’est en tout cas très impressionnant. Les acteurs à côté semblent un peu écrasés par l’ampleur du projet, même si les scènes en famille sont nombreuses. Rien à redire sur les acteurs, tous impeccables dans des rôles pas simples (Sean Penn a deux répliques et demie, environ), mais il est vrai qu’ils sont un peu étouffés par la démesure du projet. La musique est par contre totalement adaptée, mieux elle ajoute encore à cette démesure. Malick a puisé dans le répertoire classique, particulièrement dans la musique religieuse, pour un résultat assez classique, certes, mais qui fonctionne à plein ici…
L’attente était trop importante. Il est vrai qu’un film de Terrence Malick est un événement trop rare pour ne pas susciter de l’attente… The Tree of Life n’est pas une répétition d’un ancien film du cinéaste, c’est un fait. Terrence Malick est allé ailleurs, il propose une expérience de cinéma qui évoque par certains aspects Enter The Void, celle de Gaspard Noé. Le film de Malick semble un peu l’inverse de celui de Noé : l’expérience de cinéma n’est pas vraiment éprouvante, même si elle peut paraître étouffante, elle est indéniablement immense.
On adhère ou on n’y adhère pas, je penche de mon côté pour la première option. Terrence Malick n’a pas changé du tout au tout, on retrouve ses thèmes phares, ses habitudes de travail, son observation de la nature et on peut même tisser des liens avec ses films précédents et noter que dans la chronologie de l’histoire des États-Unis, The Tree of Life vient se placer après La Ligne Rouge qui suivait Les Moissons du Ciel et même Le Nouveau Monde. En un sens, Terrence Malick poursuit là son fascinant travail. Reste à savoir comment il va maintenant le poursuivre, réponse en théorie dès l’année prochaine.