Onzième album de Pink Floyd, The Wall est un concept album. Ce genre à part entière du rock progressif raconte une histoire, piste après piste. Cet album raconte l’histoire de Pink, star du rock qui s’enferme derrière un mur, une histoire hautement autobiographique écrite par Roger Waters. Le cinéaste Alan Parker entrevoit immédiatement la possibilité de mettre en images cet album très narratif : Pink Floyd The Wall est ainsi l’illustration de l’album. Alan Parker en fait néanmoins un véritable film qui, s’il intéressera d’abord les fans de l’album, dépasse néanmoins son simple statut d’illustration animée.
Pink est une rock star extrêmement célèbre, mais qui a manifestement un peu de mal à gérer sa célébrité. Schizophrène, il s’enferme dans un univers parallèle, derrière un mur qu’il construit par la pensée. Le film se déroule à une période charnière de sa vie : c’est à la fois le paroxysme de son dédoublement de la personnalité et de son enfermement psychologique et, peut-être, la possibilité de s’en sortir. Le film revient sur les multiples causes de son déséquilibre. La perte du père, mort pendant la Seconde Guerre mondiale, constitue indéniablement un trauma important pour le jeune garçon qu’est alors Pink. Ses tentatives pour le remplacer vont toutes échouer, tandis que sa mère, bien trop protectrice, ne fait que renforcer son absence. Plus tard, Pink a beaucoup de mal avec le système scolaire qui brime son côté créatif et veut absolument le faire rentrer dans les rangs et devenir un garçon anonyme comme les autres. Plus tard encore, Pink devenu adulte se fait rejeter par une femme qu’il aime pour ne pas avoir su lui répondre à temps : son enfermement commence très tôt et le mur se construit rapidement autour de lui. Derrière le mur, son esprit tourmenté construit un totalitarisme très proche du nazisme où les concerts sont vus comme des rassemblements à sa gloire. Cet enfermement devient vite pesant et Pink cherche à en sortir, mais ce n’est pas aussi facile qu’il l’espérait…
Pink Floyd The Wall épouse entièrement le point de vue de Pink et offre ainsi une plongée vertigineuse dans l’esprit d’une rock star dans tout ce qu’elle peut avoir de plus caricaturale. Pink est apathique, il n’aime plus rien, se contente de jouer de la musique mécaniquement, mais il préfère sinon trainer devant son poste de télévision à regarder des émissions stupides. Quand il sort de cet état comateux, c’est pour prêter un plomb et tout détruire dans sa chambre d’hôtel. Sa vie est assez désespérante, en tout cas selon son propre point de vue : rien ne l’intéresse, l’amour devient gris et Pink ne cesse de ressasser de vieilles images. Son père mort au combat, la femme de sa vie partie avec un autre, le rat qu’il a voulu sauver enfant, etc. Autant d’images qui tournent en boucle, non pas de manière linéaire, mais au plus près de l’esprit d’un homme, un peu dans le désordre. Cette plongée au cœur de l’esprit de Pink est sans doute l’aspect le plus réussi de Pink Floyd The Wall. Ce choix de suivre les pensées du personnage donne au film un aspect très original, marqué par la présence de séquences animées qui sont bien représentatives d’un esprit dérangé.
Autobiographie ou pas ? Le débat n’a plus vraiment lieu d’être, on sait maintenant que Roger Waters, à l’origine de quasiment l’intégralité de The Wall, s’est largement inspiré de sa propre vie pour écrire l’album. Le bassiste de Pink Floyd a composé une œuvre très personnelle qu’il a plus ou moins imposée aux autres membres du groupe et même s’il l’a souvent nié, c’est sa propre histoire qu’il raconte. On sait que le leader du groupe avait beaucoup de mal à gérer ses propres fans et comme il le raconte volontiers lui-même, il s’est senti éloigné de son public à la fin des années 1970, comme si un mur s’était établi entre lui et eux. Au-delà de la plongée dans l’esprit d’une rock star dérangée, Pink Floyd The Wall fascine par son rapport à son auteur. Le scénario du film a été écrit par Roger Waters et on l’imagine mal ne surveillant pas de très près la réalisation du film. Le musicien devait même interpréter le rôle de Pink, mais c’est finalement Bob Gedolf, guitariste, qui passe devant la caméra. Reste que le bassiste ne pouvait rester insensible à la mise en scène de son propre rôle qui est loin d’être vu de manière angélique. Bien au contraire, Pink Floyd The Wall constitue un film très noir, pour ne pas dire carrément dépressif. Roger Waters est allé très loin dans ce qui pourrait s’approcher de l’auto-dérision, puisqu’il va jusqu’à rapprocher ses concerts des rassemblements totalitaires et se présenter sous les traits d’un Hitler chanteur. Un regard finalement assez surprenant quand on pense à l’œuvre elle-même, très mégalomaniaque. Est-ce une stratégie pour nous inciter à le plaindre ? Le film ressemble en tout cas à une longue liste de salauds que Roger Waters voudrait dénoncer…
Réaliser Pink Floyd The Wall et éviter la compilation de clips n’était pas évident au premier abord, mais Alan Parker s’en est plutôt très bien sorti. Certains extraits ont ensuite servi de clips, on pense bien sûr au célébrissime « Another Brick In The Wall, Part 2 », mais le réalisateur a réussi à fournir à son film toute l’unité nécessaire. Certains assemblages dans le montage vif peuvent paraître un peu plaqués, pour suivre la ligne directrice de l’album, mais ce n’est jamais vraiment gênant, puisque l’on doit suivre l’esprit que l’on sait tourmenté de Pink. Avec quasiment uniquement les chansons de l’album, Pink Floyd The Wall propose une histoire qui tient la route, dotée de sa propre logique : le film n’est en fait qu’un long flashback, un retour sur sa vie par la rock star. Les quelques ajouts sont en général plutôt bien trouvés, même s’ils créent ici ou là quelques lenteurs, tandis que les éléments supprimés de l’album sont trop rares pour gêner les fans. Effet classique, mais toujours efficace, la photographie souligne bien les contrastes entre un passé enjolivé par les souvenirs et une réalité bien terne. Notons aussi l’emploi de plusieurs séquences animées par Gerald Scarfe, auteur de satires qui réalise ici un travail vraiment remarquable. Tout n’a pas toujours bien vieilli, mais le résultat reste très impressionnant (la scène du procès en particulier, est assez flippante) et plaisant.
Si vous aimez le groupe et/ou l’album, ruez-vous sur Pink Floyd The Wall si ce n’est pas déjà fait. Le film apporte un éclairage particulier sur l’album, il permet de bien comprendre l’histoire et la mise en images fonctionne vraiment bien. Il est vrai que The Wall est un disque assez imagé, mais le travail d’Alan Parker pour en faire un vrai film est indéniablement réussi. Si vous ne connaissez pas la musique des flamants roses, vous auriez tort de ne pas la découvrir, mais vous pouvez déjà regarder Pink Floyd The Wall. Non pas que ce film soit vraiment représentatif du travail des Pink Floyd ((Pour découvrir le groupe, il vaudra mieux commencer avec le célèbre et indémodable The Dark Side of the Moon…)), mais il peut intéresser, même sans connaître la musique. Cette plongée dans le quotidien, et dans l’esprit, d’une rock star est intéressante en soi. Un film à (re)découvrir.
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