Une image suffit parfois à faire entrer un film dans la légende. C’est le cas de La Planète des Singes, première adaptation au cinéma du roman éponyme de Pierre Boule. Quand le film de Franklin J. Schaffner sort en 1968, sa vision de la Statue de la Liberté échouée sur une plage marque durablement les esprits : la Guerre froide bat son plein et c’est peut-être la période où la société américaine se remet le plus en cause. On craint une guerre nucléaire et les interrogations se font pressantes : et si l’homme causait sa propre perte ? Si le film a techniquement mal vieilli, il reste un classique du cinéma d’anticipation.
La planète des Singes a donné lieu à plusieurs versions et explications différentes. Alors que le roman original se déroule sur une autre planète loin de la Terre et dans un futur lointain, le film de Franklin J. Schaffner se déroule également dans le futur, mais dans un cadre connu. Le héros est persuadé d’avoir atterri sur une autre planète par erreur pendant tout le film, mais le twist final est bien connu : l’apparition de la Statue de la Liberté replace le film de 1968 dans le contexte terrestre. Le film commence néanmoins dans l’espace. Un vaisseau, quatre astronautes partis en mission pendant plus d’un an dans l’espace extrêmement lointain, en voyageant plus rapidement que la lumière. Eux n’ont pas vieilli, mais ils doivent retrouver leur planète et leur société 700 ans après. Une sorte de faille spatio-temporelle sur leur retour les amène néanmoins plus de 2000 ans après leur départ, à un endroit inconnu. Seuls trois des quatre astronautes ont survécu et ils tentent d’organiser leur survie dans un milieu désertique. Ils finissent par trouver une jungle et de l’eau. Ils trouvent aussi des humains qui ne parlent pas, mais se comportent comme des animaux alors que des singes viennent les capturer…
Dans le film de Franklin J. Schaffner, l’inversion est totale et la symétrie parfaite. Les singes ont remplacé les hommes et les hommes les singes. Les premiers parlent, s’habillent, ont une religion et une société très organisée sous forme de caste : les gorilles forment l’armée, les orangs-outans dirigent et les chimpanzés forment le gros des troupes. Ils vivent dans des maisons semblables à celles des humains, ils parlent anglais et ils trouvent que les humains puent et n’ont pas d’âme : l’inversion est parfaite et cette société de singes est le miroir de notre société. Les humains sont réduits à l’esclavage et les singes de La planète des Singes en sont restés à l’époque colonialiste. Ce choix est essentiellement budgétaire : dans le roman, les singes sont au niveau technologique des hommes et c’est pour réduire les dépenses liées au film que le réalisateur propose cette version historique qui donne toutefois un cachet original au film. L’inversion est en tout cas pensée jusqu’au bout avec un procès que n’aurait pas renié celui de Galilée ou encore avec ce musée où on ne trouve pas des singes empaillés dans un faux décor naturel, mais… des humains.
Comme dans toutes les dystopies, l’inversion homme/singe n’est ici qu’un prétexte pour critiquer la société actuelle. La critique est d’ailleurs explicite et répétée à plusieurs reprises dans La planète des Singes : le héros du film de Franklin J. Schaffner a choisi de quitter la Terre parce que la société ne lui plaisait plus. Il critique à plusieurs reprises les problèmes rencontrés sur la planète et le film ouvre sur le souhait de sa part que la société aura favorablement évolué en sept siècles. Résultat, elle a évolué à un point tel qu’elle a disparu, cédant la place aux singes qui, par un astucieux concours de circonstances, ont bouclé l’évolution darwiniste. Les singes dans le film croient que le monde a été créé par un dieu qui la peuplé de créatures à son image, une version simiesque parfaitement parallèle à la nôtre. Un jeune singe scientifique, équivalent de Darwin, conteste néanmoins cette théorie en faisant du singe le successeur de l’homme dans l’évolution : la boucle est bouclée. La planète des singes s’avère néanmoins plus complexe qu’au premier abord : si les hommes ont détruit leur société et cédé la place aux singes, ces derniers n’ont pas fait mieux et la société qu’ils ont mis en place reprend exactement les tares de la société humaine décriés par le héros. Les singes font même pire en refusant les progrès de la science, en instaurant un système de caste fermé et en réduisant les humains à l’esclavage. Le film est ainsi très favorable aux humains et plutôt contre les singes, même si l’image finale reste très forte contre la société américaine.
La planète des Singes date de 1968 et ne bénéficiait pas d’un large budget, et cela se voit. Le film de Franklin J. Schaffner n’a pas très bien vieilli et si ses singes ont impressionné ses contemporains à la sortie du film, ils sont aujourd’hui assez kitsch, surtout quand on a vu le travail réalisé sur La planète des Singes : les origines. Reste que le cinéaste gère plutôt bien ce manque de budget et en fait un film de dialogues, plus qu’un film d’action. Aussi primitifs soient-ils, les costumes de singes parviennent tout de même à rendre sensibles des différences, si bien que l’on distingue les différents singes à quelques traits distinctifs. Ces singes sont très humains, ce qui après tout n’est pas inintéressant par rapport à la thématique de l’inversion : le spectateur finit même par oublier qu’il s’agit de primates…
Première adaptation d’une longue lignée, La planète des Singes reste sans aucun doute la plus connue par sa dernière image. Un coup de force qui reste gravé dans les mémoires du cinéma au point d’éclipser quelque peu tout ce qui précède. Le reste du film de Franklin J. Schaffner n’est pourtant pas sans intérêt, même s’il a assez mal supporté les années. Ce film reste un classique de la science-fiction au cinéma et alors qu’une version beaucoup plus réaliste et proche de notre époque vient d’être proposée, il n’est pas inutile de (re)découvrir ce classique.