Pour la première fois dans sa carrière, Alejandro González Inárritu ne suit pas un scénario complexe composé de plusieurs histoires parallèles qui se croisent dans Biutiful. Avec Babel, il avait poussé ce procédé à son maximum avec non seulement quatre histoires parallèles, mais aussi quatre univers totalement différents. Babel allait sans doute trop loin et le procédé alourdissait le scénario au point de lui enlever toute crédibilité. Avec Biutiful, Alejandro González Inárritu revient à plus de simplicité dans un récit d’une noirceur profonde. Si le cinéaste a opté pour un scénario plus léger, son dernier film ne gagne pas pour autant en légèreté… bilan en demi-teinte.
Uxbal n’a plus que quelques mois à vivre. Il souffre d’un cancer incurable et il en lui reste plus qu’à mettre de l’ordre dans ses affaires avant de quitter ce monde. Père de deux enfants, il est aussi au cœur de commerces illégaux dans Barcelone. Il gère une police corrompue pour permettre à des Africains venus illégalement en Espagne de vendre des contrefaçons produites par des Chinois également clandestins. Espagne, Afrique et Chine : même si Alejandro González Inárritu a laissé tomber les structures complexes dans le scénario, il n’a pas abandonné pour autant les mélanges culturels dans Biutiful. Le film offre un regard assez contrasté sur ces mélanges : son héros profite de ces clandestins contraints à travailler dans des conditions difficiles et sous la menace permanente d’un renvoi. Uxbal essaie aussi de les aider toutefois et il va jusqu’à se battre à leur côté, quitte à finir au poste. La bonne idée de Biutiful est aussi de montrer que la société espagnole a besoin des clandestins : les Barcelonais achètent les contrefaçons vendues dans la rue, mais ce sont surtout les chantiers qui utilisent cette main-d’œuvre bon marché. On connait l’importance du secteur du BTP dans l’économie espagnole et Alejandro González Inárritu dit en quelque sorte avec son film que ce secteur ne serait pas ce qu’il est sans l’immigration illégale. Outre la clandestinité, Uxbal exploite aussi la misère humaine en vendant ses services de médium. Biutiful ne précise jamais s’il arnaque ses clients en racontant n’importe quoi ou s’il parle vraiment aux morts, mais le doute est permis. Une touche de fantastique qui est, en tout cas, plutôt inattendue…
Cet aspect multiculturel est plutôt bien traité dans Biutiful, moins tiré par les cheveux que dans Babel et assez intéressant. Le cinéaste mexicain a choisi un traitement extrêmement noir, pour ne pas dire désespéré. Autour d’Uxbal, la misère règne : il doit élever seul ses deux enfants, la mère étant sérieusement dérangée et peine à assumer son rôle de mère. Il passe son temps dans des milieux clandestins où le travail ressemble fort à de l’esclavage : les ouvriers chinois dorment dans une pièce commune fermée à clé, ils sont réveillés à 6h30 et doivent alors travailler dans des conditions difficiles pendant de longues journées. Biutiful montre des réalités difficiles et ce traitement très noir était évidemment attendu, mais Alejandro González Inárritu en fait peut-être un peu trop. Fallait-il vraiment ajouter à un récit déjà plein de drames cette histoire de radiateurs ? Qu’apporte la relation de la femme d’Uxbal avec son frère ? On a parfois l’impression que le cinéaste a voulu noircir le tableau plus que de raison et Biutiful manque de légèreté ou de finesse. Que ce soit dans la mise en scène, dans la photographie très contrastée ou encore dans l’emploi de la musique souvent trop suggestive, le film aurait gagné à être plus subtil. En l’état, il a tendance à tendre à la caricature ou au misérabilisme. Par certains aspects, Biutiful rappelle Submarino, mais le film de Thomas Vinterberg maintenait une lueur d’espoir qui est ici absente.
Biutiful signe un tournant dans la carrière cinématographique d’Alejandro González Inárritu : pour la première fois centré sur un seul personnage, ce film est moins complexe que ses trois prédécesseurs. Moins complexe, peut-être un peu trop simple toutefois : Biutiful a parfois tendance à forcer le trait de la noirceur, quitte à en faire trop. Reste que le film n’est pas inintéressant et on s’attache à ce personnage en fin de vie. Il faut d’ailleurs saluer la performance de Javier Bardem, parfait dans ce rôle pas facile…