Réconcilier Kanaks et Français, tel est l’objectif avoué de Mathieu Kassovitz avec L’ordre et la morale. Reconstitution historique précise des prises d’otage d’Ouvéa, le dernier film du cinéaste français est d’abord une œuvre militante. Adoptant le point de vue du négociateur chargé de libérer les otages en évitant l’effusion de sang qui a finalement eu lieu, L’ordre et la morale dénonce non pas tant les militaires en charge des opérations que la classe politique française. Ce militantisme est le principal défaut de ce film qui traite par ailleurs d’un sujet passionnant : lourd, trop didactique, le film de Mathieu Kassovitz peine à convaincre…
Les évènements ont été très médiatisés à l’époque, mais l’histoire est assez mal connue dans les détails. Alors que les élections présidentielles de 1988 battent leur plein en métropole avec un second tour qui oppose Mitterrand et Chirac, des Kanaks indépendantistes prennent en otage une dizaine de gendarmes 25 000 km plus loin, sur l’île d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie. La prise en otage s’est mal déroulée et quatre gendarmes sont morts : en pleines élections, ces évènements dérangent et on envoie le GIGN, mais aussi l’armée de terre pour régler ce conflit. Quand le GIGN débarque sur l’île, ils ont d’ailleurs la surprise de voir que l’armée est déjà bien en place et que la classe politique a décidé que les militaires superviseraient les opérations. La première des deux prises d’otages est rapidement réglée, sans faire le moindre blessé, mais les Kanaks qui gèrent l’autre groupe d’otages n’entendent pas se rendre aussi facilement. L’Ordre et la morale suit le parcours du commandant Philippe Legorjus, responsable du GIGN sur place et négociateur pour l’État français. Face à lui, Alphonse Dianou, leader des indépendantistes. Les deux hommes vont apprendre à se connaître, se respecter mutuellement et même se faire confiance, mais comme l’apprend peu à peu Legorjus, personne sur l’île ne semble décidé à suivre la voie diplomatique…
S’il est un point sur lequel L’ordre et la morale excelle, c’est sans conteste sur l’ambiance. Le film de Mathieu Kassovitz réussit parfaitement bien à transmettre l’ambiance pesante qui pèse sur les métropolitains venus de l’autre bout du monde pour contrôler un territoire qui est censé être Français, mais qui ne l’est absolument pas dans les faits. La situation est très tendue et même la toute puissance de l’armée ne peut pas faire grand-chose dans ces forêts denses et sur ce terrain parfaitement connu des Kanaks. Quand elles arrivent sur place, les forces armées pensent s’en tirer aisément : l’île est de petite taille, il y a 300 militaires sur place, le job sera vite fait bien fait. Comme on s’en doute d’emblée, ce ne sera pas aussi simple et Philippe Legorjus et ses hommes tout comme l’armée de terre peinent à s’en sortir. C’est d’autant plus difficile que les Kanaks sont des populations très différentes avec des coutumes complexes qui rendent les négociations plus difficiles. Mathieu Kassovitz montre bien que les difficultés sont nombreuses et que les indépendantistes sont mal organisés. Difficulté supplémentaire, le GIGN doit composer avec une armée de terre qui a des méthodes bien différentes. L’ordre et la morale adopte le point de vue d’un officier du GIGN et le film propose un regard assez logiquement négatif sur l’armée, jugée avide de violences et incapable de trouver une solution diplomatique.
Le vrai coupable toutefois n’est pas à chercher sur l’île d’Ouvéa, mais en métropole. Le film de Mathieu Kassovitz ne laisse aucun doute à ce sujet : les coupables sont les hommes politiques au pouvoir qui ont préféré utiliser la situation à leur avantage, plutôt que de trouver une véritable solution. En pleine campagne électorale et en pleine cohabitation, le gouvernement de droite et le président de gauche se renvoient la balle sans apporter de solution efficace. Chirac bloque dans un premier temps la solution diplomatique, ce qui lui permet d’attaquer son adversaire sur son incompétence. Mitterrand de son côté accuse Chirac de bloquer les discussions avant de donner son accord pour l’assaut quand c’est à son avantage. L’ordre et la morale parvient bien à rendre cette complexité politique et surtout à montrer à quel point Philippe Legrojus n’a absolument aucun pouvoir sur place. Comme le dit d’un ton amer le personnage, l’assaut avait été décidé depuis le début et il ne pouvait rien faire. Reste que cette dénonciation de la classe politique, aussi efficace soit-elle, pèse sur L’ordre et la morale et alourdit considérablement le film. Le cinéaste a choisi de commencer par la fin et de remonter le temps, avec un compte à rebours qui explique de manière très claire les étapes conduisant à l’assaut. L’ordre et la morale est ainsi très didactique, trop parfois : l’indignation du cinéaste est juste bien sûr, son envie de réconcilier tout le monde est certainement sincère et courageuse, mais Mathieu Kassovitz plombe ainsi un film qui aurait gagné à être moins militant.
L’ordre et la morale n’est pas aidé par son scénario. Inspiré par le livre écrit par Philippe Legrojus lui-même, il s’avère beaucoup trop littéraire et manque cruellement de réalisme notamment dans ses dialogues. À plusieurs reprises, les discussions entre personnages sonnent complètement faux et semblent sorties directement d’un exposé un peu raté sur la prise d’otages. Ce problème de crédibilité pèse sur les personnages dans leur ensemble : si les acteurs professionnels ou non sont très bons, ils manquent tous de personnalité. Mathieu Kassovitz par exemple est parfait dans le rôle principal, mais le spectateur peine à s’intéresser à son personnage qui manque d’épaisseur. Bon devant la caméra, Mathieu Kassovitz l’est aussi aux commandes : L’ordre et la morale met mal à l’aise ses spectateurs, ce qui est sans aucun doute la preuve qu’il est techniquement réussi. L’assaut est une scène d’une intensité rare au cinéma : on a hâte de sortir de la salle tant le sentiment d’étouffer est permanent. Là encore, on pourra toutefois reprocher au film son manque de finesse, à l’image de la bande originale. Interprétée par Les Tambours du Bronx, elle met logiquement les percussions qui sonnent comme une menace lourde dès le début du film. Ces percussions fortes ne quittent jamais L’ordre et la morale et si elles s’avèrent efficaces, elles sont aussi un peu trop systématiques…
L’ordre et la morale est un film assez décevant en somme. Le sujet de base est passionnant et Mathieu Kassovitz parvient à créer une ambiance étouffante tout en mettant en avant avec justesse les enjeux politiques. Son parti-pris réconciliateur plombe toutefois son film : L’ordre et la morale est un film didactique beaucoup trop lourd qui peine à vraiment passionner. Un film que l’on oubliera vite, malheureusement…