Akira, Katsuhiro Ōtomo

Considéré par certains comme le meilleur animé d’anticipation japonais, Akira a rapidement obtenu sa stature d’œuvre culte. Une trentaine d’années après sa sortie, le long-métrage a inspiré tant d’œuvres que l’on pourrait passer à côté de son rôle fondateur et de son importance dans le renouvellement du genre. C’est aussi lui qui sort le manga et l’animé du Japon et offre aux deux arts une renommée mondiale qui perdure encore. Katsuhiro Ōtomo adapte lui-même l’histoire qu’il est toujours en train de publier à la fin des années 1980. Pour cette raison, la version sortie dans les salles est bien différente de celle qui sortait alors sur le papier, sa fin notamment n’a rien à voir. On pourrait le regretter, mais Akira est déjà d’une telle richesse et d’une profondeur rare, cette vision alternative n’est pas nécessairement moins bonne. En tout cas, elle est fascinante et elle le reste encore aujourd’hui, bien des années plus tard. Un film culte qui n’a pas volé sa réputation, un classique indémodable qui mérite toujours autant le détour.

Katsuhiro Ōtomo construit un univers post-apocalyptique qui se déroule 31 ans après une nouvelle catastrophe nucléaire. Une bombe détruit Tokyo en 1988, mais l’intrigue d’Akira se déroule en 2019, alors qu’une nouvelle ville s’est reconstruite à côté de l’ancienne. Dans ce Neo-Tokyo qui ressemble furieusement au Los Angeles de Blade Runner1, tout n’est pas rose, loin de là même. Le gouvernement corrompu ne parvient pas à maintenir l’ordre et les rues sont parcourues par des bandes de jeunes motards qui font la loi. Cette dystopie qui évoque par moments Mad Max est à peine futuriste et l’auteur ne se donne pas la peine d’imaginer un univers vraiment différent. L’informatique n’est pas plus présente qu’en 1988, les motos sont toujours aussi proches de celles que l’on connaissait dans les années 1980, exception faite sans doute du modèle rouge de l’affiche, resté célèbre et associé à l’histoire pour toujours. On est bien dans un univers de science-fiction, nul doute à ce sujet, et c’est une vision steampunk très sombre et désespérée qui est proposée par Katsuhiro Ōtomo. Mais ce n’est pas de la science-fiction très différente de l’univers familier des spectateurs, que ce soit ceux qui ont vu le film à sa sortie, ou ceux qui le voient encore aujourd’hui. Akira ne repose pas vraiment sur des idées de technologie un petit peu folles, mais sur une intrigue qui touche au fantastique, avec une histoire qui se construit autour d’êtres dotés de super-pouvoirs. Le récit suit une bande de jeunes motards menés par Kaneda et sa moto rouge surpuissante. Un soir, l’un d’eux, Tetsuo, a un accident avec un enfant qui a le visage d’un vieillard et il est emmené par les militaires. Quand Kaneda le retrouve, il est devenu violent et extrêmement puissant, avec le pouvoir de télékinésie.

Akira suit d’un côté Kaneda alors qu’il essaie de retrouver Tetsuo, bientôt aidé par des résistants. C’est en effet l’un des points forts du long-métrage, il ne se contente pas d’une intrigue personnelle avec quelques individus, il évoque aussi toute une société qui ne fonctionne plus. En parallèle de ce qui arrive à ces jeunes, on découvre l’armée toute puissante qui essaie de maîtriser un pouvoir surhumain qui la dépasse, un gouvernement qui ne pense qu’à s’enrichir et qui essaie de mettre fin aux activités des militaires, et divers groupes agitateurs qui sèment le trouble dans les rues de Neo-Tokyo. Katsuhiro Ōtomo a simplifié de nombreux éléments par rapport à son manga, mais pas ce contexte général, très bien décrit et présenté. Il montre bien la folie des hommes qui essaient de maîtriser un pouvoir incroyable et la faiblesse d’autres hommes qui ne semblent au pouvoir que pour leur propre intérêt. Même si on ne sait pas d’où viennent exactement ces pouvoirs, leur lien avec le nucléaire est évident et toute cette dystopie semble se transforme en critique de nos sociétés assez insouciantes vis-à-vis de cette source d’énergie. Au milieu de ce tourbillon, Akira prend le temps de construire des personnages attachants et riches, en particulier le turbulent et pénible Kaneda. Le parcours de Tetsuo est le plus intéressant, ce jeune lycéen qui avait toujours vécu dans l’ombre de son ami et qui obtient par hasard un super-pouvoir enivrant. Il ne peut pas le contrôler, comme prévu, et en même temps, le long-métrage n’en fait jamais un méchant dans l’esprit des comics américains. C’est plus compliqué que cela, il reste une part d’humanité en lui jusqu’au bout et la question de la responsabilité des scientifiques de l’armée n’est pas éludée. C’est l’avantage d’avoir une adaptation réalisée par l’auteur de l’œuvre originale lui-même, on sent que le sujet est parfaitement maîtrisé et que les idées sont toutes là. On sait que Katsuhiro Ōtomo a eu du mal à trouver la fin et cela se sent peut-être un petit peu — certains éléments restent assez obscurs jusqu’au bout —, mais ce n’est pas gênant pour autant. Au contraire même, ces mystères sont plaisants et ils ajoutent à l’aura de l’œuvre : elle ne délivre pas tous ses secrets et laisse place à l’imagination.

Si tous ces arguments ne vous ont pas convaincu, on pourrait encore évoquer le style de l’animé. À l’époque, Akira était le film d’animation japonais le plus cher de l’histoire et il a fallu des moyens colossaux pour transcrire la vision de Katsuhiro Ōtomo. Alors que l’animation était en général assez pauvre, avec une image surtout statique, la fluidité de ce long-métrage est toujours aussi notable. Quelques séquences d’anthologie font encore figure de référence, à l’image des courses en moto avec le halo lumineux pour simuler la vitesse. Comme la version manga avait renouvelé le genre avec un style moderne qui a inspiré toutes les œuvres à venir, la version animée a forcé l’industrie japonaise à adopter de nouveaux standards. Akira a vieilli naturellement, mais le regarder en 2019 est une expérience toujours aussi forte. L’animation de qualité est un critère, mais honnêtement, ce n’est pas le plus important. On retiendra surtout l’univers dystopique noir si familier, l’intrigue riche, les personnages complexes… une réussite, tout simplement.


  1. Qui, coïncidence troublante, se passe aussi en 2019. En plus d’avoir choisi la même date, la vision du futur est très proche dans les deux œuvres : on sent bien qu’elle est liée à une même époque.