Dans la carrière de Michael Mann, Ali tient une place à part, mais ce qui ne veut pas dire qu’il n’y trouve pas une place. Bien au contraire, ce biopic qui évoque quelques années de la vie du boxeur de Cassius Clay, alias Mohammed Ali, est l’œuvre d’un véritable auteur. Loin du classicisme de Hollywood, c’est un long-métrage avec une vraie vision que nous offre le réalisateur, et quelle vision. Des matchs de boxe d’un réalisme rare, un acteur au sommet et une plongée fascinante dans une époque : Ali est une réussite complète, passionnante d’un bout à l’autre. À voir absolument, pas forcément pour son sujet, mais plus pour son scénario parfaitement mené et sa maîtrise technique.
D’emblée, Michael Mann rejette les codes du biopic et le réalisateur choisit de commencer exactement au moment où la carrière de Cassius Clay va atteindre son apogée. Le jeune boxeur n’a que 22 ans et déjà un jeu hors-pair : il écrase tous ses ennemis et arrive facilement à la finale du monde des poids-lourds. La première séquence d’Ali juxtapose précisément ce match avec un concert qui signale dans la foulée l’importance de la musique dans le film, mais aussi quelques flashbacks. Même si le film ne suit pas chronologiquement toute la vie de son sujet, une scène ou deux suffisent à Michael Mann pour poser son personnage. On est au cœur des années 1960, dans un pays encore légalement raciste et l’une de ces séquences montre le jeune Cassius dans un bus séparé en deux. Une scène très forte qui suffit, sans la moindre ligne de dialogue, à présenter un contexte difficile et surtout commencer à construire le caractère du personnage. Sa volonté tenace de revanche et de victoire, elle naît en partie dans ce bus complètement bondé dans la partie réservée aux personnes de couleur. Et elle naît quand le futur boxeur pose les yeux sur un article qui évoque la mort atroce d’un afro-américain, lapidé par des blancs. Même si Ali ne se politise jamais vraiment, son scénario n’évite pas les sujets difficiles. Discrimination raciale, mais aussi religieuse quand Ali, devenu champion du monde de boxe, se convertit à l’Islam. Comme toujours, Michael Mann glisse des éléments qui expliquent sa conversion, sans jamais tomber dans le didactisme lourd. On comprend que le sportif rejette son éducation catholique qui invitait à accepter la discrimination et à ne pas répondre. L’assassinat de son ami Malcom X le pousse ensuite dans les bras des Musulmans les plus intégristes du moment qui le poussent à se débarrasser de sa première femme. Mais le personnage principal d’Ali conserve malgré tout son mystère et on ne sait plus très bien pourquoi il revient vers ces Musulmans qui l’ont rejeté à la première défaite. Et puis est-il vraiment croyant ou ne s’agit-il que de protester contre une société ? Il concilie très bien sa foi avec de multiples conquêtes féminines et Michael Mann instaure un petit peu plus de doute quand il laisse entendre que le boxeur est surtout intéressé par l’argent des Black Muslims.
Ali lance des pistes et des questions, sans jamais répondre de manière péremptoire et surtout avec beaucoup de subtilité dans la mise en scène. Là où bon nombre de cinéastes auraient ajouté des séquences lourdement explicatives, Michael Mann préfère glisser des pistes, sans affirmer, mais en suggérant. Il parie ainsi sur l’intelligence des spectateurs et cela paye : au premier niveau, le film évoque surtout les combats du boxeur sur le ring, mais il laisse entendre suffisamment de choses pour qu’on ait l’impression de voir un film historique. Par moment, le réalisateur touche le documentaire, un effet paradoxalement obtenu par son utilisation d’une caméra numérique ultra-moderne, mais aussi très granuleuse1. Il convient aussi de saluer la performance exceptionnelle de Will Smith : l’acteur s’est rarement illustré pour la réussite de ses prestations, mais il a indéniablement trouvé un grand rôle en incarnant Mohammed Ali. Il faut dire qu’il a donné de sa personne, avec perte de poids et surtout entraînement intensif de boxe. C’est bien lui qui est sur le ring, face à d’anciens champions de boxe, et c’est bien lui, et non des doublures, qui prend des coups. Michael Mann aurait certainement pu faire différemment, mais cette stratégie paye elle aussi : on a rarement vu des séquences de boxe aussi violentes, réalistes et haletantes que celle que l’on voit dans Ali. Il n’y en a pas tant que ça en fait, quatre ou cinq matchs de boxe en tout alors que le film dure près de deux heures quarante dans sa version définitive. Elles sont assez rares, mais très fortes et elles constituent le point d’orgue du long-métrage, à tel point que tout le monde sera happé par le suspense. Inutile d’être fan de boxe, les acteurs et la mise en scène de Michael Mann suffit à susciter l’intérêt : chapeau ! Pour compléter le tout, la bande-originale du film composée de divers morceaux d’époque est une vraie réussite. Elle accompagne le récit, de la musique afro-américaine dans un premier temps à la musique africaine dans la deuxième partie, et tous les morceaux sont bien choisis et parfaitement intégrés au long-métrage.
Franche réussite que ce biopic qui refuse les poncifs de la catégorie. Ali n’est probablement pas le meilleur film sur Mohammed Ali, en tout cas pas si l’on veut tout connaître sur le boxeur. Néanmoins, Michael Mann propose un vrai personnage de cinéma, et un personnage passionnant. En suivant le boxeur pendant une dizaine d’années, le long-métrage propose des séquences de boxe d’un réalisme et surtout d’une intensité rares, tout en plongeant le spectateur dans une époque et un contexte social. Ali est prenant, filmé avec beaucoup de talent et son acteur principal est bluffant. Autant d’éléments qui en font un grand film, à (re)voir !
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- C’est l’une des marottes du cinéaste, qui a manifestement toujours aimé le grain numérique. Ici, il est assez grossier et pas toujours convaincant, il faut bien le dire. Mais c’est aussi une manière d’imposer sa marque de fabrique et de répéter, avant la généralisation de la technique. Dès son prochain film, Collateral, il n’utilisera plus que ce type de caméra. ↩